L’enseignement interactif par radio constitue un moyen populaire d’atteindre ceux qui n’ont pas accès à un enseignement scolaire classique. Ainsi, dans le district de Petauke, dans l’est de la Zambie, le lancement récent de deux nouveaux modèles de postes radio a renforcé la popularité de l’émission radiophonique Learning At Taonga Market (LATM). Créé en 2000, ce projet éducatif était destiné à l’origine aux orphelins de campagnes ravagées par le sida. Mais, au fil du temps, des milliers d’appareils radio ont été offerts par des bienfaiteurs locaux et internationaux, permettant ainsi au projet d’atteindre une dimension nationale. Avec le lancement de deux nouveaux modèles de radio, LATM entame aujourd’hui un nouveau chapitre.
Par Prue Goredema et Brenda Zulu
Développées et fabriquées par Lifeline Energy, une société à but non lucratif située à Londres, les radios multibandes Prime et multibandes MP3 Lifeplayer ont été lancées en 2010 et constituent aujourd’hui de véritables « liaisons éducatives » pour des communautés rurales déshéritées. Kristine Pearson, Directrice générale de Lifeline Energy, précise que Prime propose les modulations de fréquences AM, FM, de même que trois bandes SW, alors que le modèle MP3 Lifeplayer (baptisé « iPod pour le développement ») associe un lecteur multimédia, une radio, un téléphone portable et des contenus Internet. Il est également proposé avec 64 Go de contenus préchargés, un atout dans des régions où la réception radio s’avère parfois aléatoire. Il peut également être utilisé comme dictaphone et permet d’enregistrer des émissions qui peuvent ensuite être réécoutées. Cet appareil est le fruit de plusieurs années de recherche, de conception et de tests poussés en Afrique du Sud. Grâce à son panneau solaire durable et à son mécanisme de recharge par manivelle, il a rencontré un succès immédiat en Zambie voisine.
Fanwell Besa, producteur exécutif aux Services zambiens de radiodiffusion éducative (Educational Broadcasting Services, EBS) qui diffusent l’émission LATM, explique que le lancement de ces appareils arrive à point nommé, car le ministère zambien de l’Education nationale réfléchissait depuis longtemps à recourir à la radio pour assurer des missions d’enseignement. « La réception des programmes proposés par la Radiodiffusion nationale zambienne est médiocre ; c’est la raison pour laquelle nous faisons de plus en plus confiance aux stations de radios communautaires », explique Fanwell Besa. Il prévoit la livraison dans les prochaines semaines de 230 postes Lifeplayer et de 50 modèles Prime. En mai, 1 500 appareils supplémentaires seront offerts par le Rotary du Royaume-Uni. Ces derniers apporteront un soutien éducatif bienvenu dans les écoles et les centres communautaires où des milliers d’enfants, dont beaucoup d’orphelins, pourront en profiter.
La Zambie compte un nombre considérable d’orphelins, victimes du sida. L’audience de LATM est ainsi importante. Gladys Sakala-Phiri, réalisatrice principale d’EBS, rappelle qu’en 2000, lors du lancement de LATM, le fléau du sida culminait. Soucieux de donner un accès à l’éducation à ce groupe d’enfants constitué pour l’essentiel de jeunes déscolarisés de moins de quinze ans, le ministère zambien de l’Education nationale, en partenariat avec le Centre pour le développement de l’éducation (EDC), a convenu que l’enseignement interactif par radio représentait un moyen rapide et efficace d’atteindre des enfants pauvres et vulnérables.
LATM est actuellement proposée sur la Radio 2 de la Radiodiffusion nationale zambienne (ZNBC) pendant chaque trimestre scolaire. Si les programmes pédagogiques sont prioritairement destinés au jeune public, les adultes y ont également pris goût ; la doyenne des auditeurs, que Gladys Sakala-Phiri a rencontrée, est une agricultrice de 43 ans résidant à Ndola. « Nous avons constaté que les femmes étaient davantage prêtes à tourner le bouton de la radio pour apprendre », souligne Gladys Sakala-Phiri. Mais il n’est pas toujours possible de suivre leurs progrès dans le temps. « Ces personnes changeant de domiciles en permanence, l’auditoire n’est jamais le même, en particulier lorsque leur activité économique (charbon de bois, agriculture) les contraint à se déplacer. Chaque fois que nous rendons visite à une communauté, les personnes que nous rencontrons sont différentes. »
Les nouveaux postes radio Prime et Lifeplayer seront particulièrement bien accueillis. Pour autant, instructions et suivi sont indispensables pour permette aux non-initiés de les utiliser la première fois. Lors d’une visite sur le terrain, Gladys Sakala-Phiri a remarqué en effet qu’une cinquantaine de radios dotées d’une dynamo solaire avaient étrangement connu de nombreuses pannes inexpliquées ; on s’est finalement aperçu que, lorsqu’ils les rechargeaient, les détenteurs de ces appareils n’utilisaient pas correctement la manivelle.
Malgré ces quelques bémols, Gladys Sakala-Phiri reste confiante quant à l’impact positif de LATM sur les communautés. Les écoles s’imposent d’évidence comme les endroits les mieux adaptés pour créer des centres d’écoute. Mais, en 2009, LATM a commencé à cibler également les places de marché des villages. « Nous nous sommes aperçus que les enfants étaient envoyés sur les marchés pour vendre des produits, explique-t-elle. Le seul moyen de les atteindre était donc de diffuser ces contenus éducatifs sur les marchés où ils passent leurs journées. Cela a bien fonctionné. »
Le contenu n’a cessé de constituer un sujet de préoccupation majeure. Gladys Sakala-Phiri explique que, si elle a proposé des programmes éducatifs tournés vers les tout petits en 2011, l’émission LATM suit généralement les programmes fixés par le ministère zambien de l’Education nationale. Les principaux intervenants, tels que producteurs et scénaristes, sont dépêchés par le ministère ; puis l’EBS engage des acteurs pour animer les programmes. Gladys Sakala-Phiri explique qu’il existe un personnage, sous les traits d’une grand-mère nommée Ambuya, qui forme les auditeurs aux compétences de la vie courante et leur donne des conseils pratiques. Ce personnage est particulièrement populaire parmi les jeunes auditeurs. D’après l’EBS, les enfants qui ont suivi cet enseignement interactif par radio ont l’esprit ouvert, ils ont confiance en eux et développent une excellente capacité d’écoute.
Les radios Lifeplayer et Prime n’ont guère besoin de maintenance ou d’entretien ; un bon point lorsqu’on sait que le projet LATM ne dispose que d’un budget limité. Gladys Sakala-Phiri explique que la radiodiffusion des programmes constitue un défi considérable, car l’achat d’espaces sur la Radiodiffusion zambienne est extrêmement coûteux. Elle considère, tout comme Fanwell Besa, que les stations de radios communautaires représentent une solution possible, mais déplore leur instabilité. Toutefois, une chaîne en particulier, Radio Chikuni, est parvenue à diffuser avec succès des programmes éducatifs de LATM.
Bien que les techniciens ne soient pas rémunérés, tous les programmes bénéficient d’une bonne qualité sonore et attirent ainsi les auditeurs dans les écoles, les centres communautaires et sur les marchés de villages. « L’émission est extrêmement populaire, précise Gladys Sakala-Phiri. Nous ne savons même pas quelles sont les personnes qui ouvrent ces centres. » Dans de nombreux cas, de simples postes d’écoute isolés se sont transformés avec le temps en de véritables écoles communautaires, et les auditeurs suivent fidèlement les programmes avec leurs radios à manivelle.
La popularité de Learning At Taonga Market a franchi les frontières pour atteindre le Malawi et la Tanzanie. « Ils ont adapté notre modèle à leur environnement », indique Gladys Sakala-Phiri. Alors même que les postes radios Prime et Lifeplayer n’en sont qu’à leurs débuts dans le district de Petauke, elle envisage déjà l’avenir. « Nous travaillons actuellement à notre propre station radio… et vidéo ».
Pour Learning At Taonga Market, il semble ne plus exister aucune limite.
Crédits photo: Lifeline Energy