Dans un monde de plus en plus connecté et compétitif, l’importance des langues nationales dans le développement économique et social de l’Afrique est indéniable. Dans cet article, l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF) explore comment les langues locales peuvent devenir un puissant catalyseur d’innovation dans la formation professionnelle sur le continent. En mettant l’accent sur l’intégration des langues nationales dans les programmes de formation et de développement des compétences, les approches francophones innovantes mises en œuvre par l’IFEF peuvent favoriser une meilleure compréhension, communication et appropriation des savoirs, tout en renforçant l’identité culturelle et linguistique des communautés africaines.
L’éducation et la formation professionnelle en Afrique
L’éducation et la formation professionnelle sont des moteurs essentiels du développement économique et social en Afrique. Cependant, l’accès à une éducation de qualité reste un défi majeur dans de nombreuses régions du continent, en particulier en raison des barrières linguistiques qui entravent l’apprentissage. Dans ce contexte, les langues nationales émergent comme des outils puissants pour innover et transformer les programmes d’enseignement et de formation techniques et professionnels (EFTP) en Afrique. Alors que l’enseignement formel en langues étrangères a longtemps été privilégié dans de nombreux systèmes éducatifs africains, l’utilisation des langues nationales (LN) offre une voie alternative pour garantir un accès plus inclusif à l’éducation, tout en favorisant une compréhension plus approfondie des concepts et une pertinence culturelle accrue.
Les langues nationales comme médium d’enseignement
Les indicateurs issus de la mesure des performances scolaires des élèves donnent des informations sur la qualité et la pertinence des systèmes éducatifs. Ainsi, les évaluations des acquis scolaires des élèves faites au cours de la dernière décennie interpellent et commandent d’innover dans les méthodes d’enseignement. Le rapport d’évaluation PASEC 2014 comme celui de 2019 font état de niveaux insuffisants en lecture-écriture et en calcul dans la plupart des pays concernés. Le rapport PASEC 2019 conclue que plus de 55% des élèves en début de scolarité n’ont pas atteint le seuil suffisant de l’échelle de compétences en langue. En fin de scolarité, quasiment la même proportion d’élèves (52%) est en dessous du seuil suffisant de compétences et donc en difficulté d’apprentissage en lecture. Ces compétences fondamentales sont indispensables pour la réussite scolaire et tout au long de la vie.
Or, selon l’UNESCO, quatre enfants sur dix dans le monde reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas. En Afrique, ces données grimpent jusqu’à huit enfants sur dix. On peut ainsi aisément comprendre que l’amélioration de la qualité de l’éducation, et par conséquent le développement du capital humain est intrinsèquement lié à la langue d’enseignement. Utiliser la langue que connaît l’élève pour enseigner c’est lui permettre de mieux participer en classe, lui permettre d’avoir du plaisir à apprendre, ce qui est indispensable pour améliorer le niveau scolaire.
Des expérimentations sont menées depuis plusieurs années et les différentes évaluations et études démontrent sans conteste la plus-value de l’enseignement bilingue. Il existe aujourd’hui un consensus international qui se dégage en faveur de l’enseignement bi-plurilingue formel, utilisant les langues nationales parlées par les élèves comme moyen d’amélioration des enseignements-apprentissages.
Cette innovation pédagogique, bien qu’originellement informelle, trouve désormais application dans les salles de classe, y compris dans l’enseignement technique. Ainsi, il est important de structurer, d’encadrer et d’équiper de manière adéquate l’utilisation des langues nationales dans le contexte éducatif formel.
Les enjeux et réalités de l’EFTP en Afrique
La formation professionnelle et technique (FTP) vise à répondre aux besoins du marché du travail et de l’économie en ressources humaines qualifiées afin de contribuer à l’amélioration de la compétitivité et de la performance des entreprises. L’une des priorités actuelles des gouvernements est d’adapter, en partenariat avec le secteur privé, l’offre de formation professionnelle aux besoins du développement économique. Dans ce cadre, il s’agit, d’une part, de diversifier les filières de formation en accordant la priorité aux secteurs stratégiques identifiés comme porteurs de croissance accélérée et d’emploi, et d’autre part, de réguler les flux en fonction de la demande présente et future de l’économie.
L’introduction des langues nationales dans le secteur de la formation professionnelle ouvre de nouvelles perspectives et de meilleures opportunités aux jeunes et aux adultes d’acquérir des compétences requises pour le travail et la vie. Cela rend l’éducation plus inclusive, équitable, de qualité et dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie. L’adoption d’un modèle d’apprentissage basé sur l’utilisation des langues nationales vise à rendre les formations plus attrayantes auprès des populations locales, en particulier auprès les jeunes.
Le développement d’une formation technique et professionnelle avec l’usage de l’écriture, de la lecture et des calculs dans les langues nationales est un aspect supplémentaire de l’innovation, puisque la pratique répond à des attentes / besoins des populations.
Le développement stratégique de la formation professionnelle et technique dans les pays doit promouvoir une formation professionnelle technique et un apprentissage orienté vers le marché de l’emploi. Elle s’inscrit, entre autres, dans une dynamique d’écriture de curricula selon l’Approche par les compétences (APC) et la création de conditions de leur implantation, ainsi que l’appui à l’insertion des nouveaux diplômés.
L’introduction formelle les langues nationales dans l’EFTP
Introduire de manière formelle les langues nationales dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels en Afrique est une démarche cruciale pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, cela permet de surmonter l’une des principales barrières à l’apprentissage : la langue. Trop souvent, les enseignants et les apprenants se retrouvent confrontés à des contenus éducatifs dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas pleinement, ce qui entrave leur compréhension et leur capacité à assimiler les connaissances techniques et professionnelles nécessaires. En introduisant les langues nationales dans l’enseignement, on favorise une meilleure compréhension des concepts, une plus grande participation en classe et, par conséquent, une acquisition plus efficace des compétences.
De plus, l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement technique et professionnel permet de valoriser la diversité culturelle et linguistique du continent africain. Cela renforce le sentiment d’identité et d’appartenance chez les apprenants, en mettant en avant leurs langues et leurs cultures. En valorisant les langues nationales, on favorise également leur préservation et leur développement, contribuant ainsi à la sauvegarde du patrimoine linguistique africain.
Les enseignants eux-mêmes bénéficient de l’introduction des langues nationales dans l’enseignement technique et professionnel. En utilisant une langue qu’ils maîtrisent parfaitement, ils peuvent enseigner de manière plus efficace, en s’exprimant avec précision et en adaptant leur discours au niveau de compréhension de leurs apprenants. Cela réduit également la distance linguistique entre enseignants et apprenants, favorisant ainsi une meilleure relation pédagogique et un climat d’apprentissage plus positif.
Pour relever ce défi, des innovations et des solutions ont émergé, mettant l’accent sur l’intégration des langues nationales dans l’enseignement technique et professionnel. Des programmes de formation des enseignants sont mis en place pour les aider à développer leurs compétences linguistiques dans les langues nationales et à adapter leurs pratiques pédagogiques en conséquence. Des ressources éducatives et des supports d’apprentissage sont également développés dans les langues nationales, offrant ainsi aux apprenants un accès à des contenus pertinents et adaptés à leur contexte linguistique et culturel.
En conclusion, introduire de manière formelle les langues nationales dans l’enseignement et la formation techniques et professionnels en Afrique est essentiel pour surmonter les barrières linguistiques, valoriser la diversité culturelle et linguistique et améliorer la qualité de l’apprentissage. Des efforts doivent être déployés pour soutenir les enseignants, développer des ressources éducatives adaptées et promouvoir l’utilisation des langues nationales comme vecteur d’inclusion et de développement éducatif sur le continent africain.
Un enrichissement mutuel entre l’EFTP et les langues nationales
Dans le cadre de la formation professionnelle, l’utilisation des langues nationales aux côtés du français présente de nombreux avantages pour les jeunes apprentis. En effet, ces derniers se sentent souvent plus à l’aise pour s’exprimer et apprendre dans leur langue maternelle que dans la langue officielle.
Intégrer les langues nationales dans les cursus permet ainsi de réduire significativement le temps d’apprentissage et de renforcer la motivation des apprenants. Ils peuvent assimiler plus rapidement les concepts et les gestes techniques propres à leur futur métier lorsque les explications sont fournies dans une langue qui leur est familière.
De plus, ce processus contribue à enrichir les langues nationales elles-mêmes. Les formations professionnelles nécessitent souvent un vocabulaire spécifique qui n’existe pas toujours dans ces langues. Développer un lexique technique et créer des dictionnaires de métiers devient alors indispensable. Cela permet non seulement de faciliter l’apprentissage mais aussi de valoriser et moderniser les langues nationales.
Certaines solutions innovantes ont été développées pour intégrer les langues nationales africaines dans la formation professionnelle et technique, à l’instar du projet Boîte à innovations*. Cette initiative ambitieuse s’appuie sur l’approche par compétences (APC) et fournit des formations dans 12 langues africaines, touchant ainsi un large public cible dans plusieurs pays du continent.
La Boîte à innovations propose notamment des outils numériques d’apprentissage pour l’alphabétisation dans les langues africaines, afin de rendre la formation plus accessible Le projet favorise également l’usage d’Internet dans la formation professionnelle, ainsi que des modules spécifiques en e-élevage et e-agriculture pour doter les lycées agricoles d’outils numériques adaptés.
En définitive, loin d’être un frein, les langues nationales constituent un véritable atout pour rendre la formation professionnelle plus accessible, plus efficace et mieux ancrée dans son environnement local. Leur utilisation, en articulation avec le français, ouvre la voie à des dispositifs de formation innovants, inclusifs et porteurs d’avenir pour la jeunesse africaine.
En savoir plus sur nos actions : https://ifef.francophonie.org/
*Boite à innovations : https://boiteainnovations.com/