Les algorithmes sont en train d’envahir notre vie quotidienne – au point qu’un récent rapport du Comité des sciences et technologies du Royaume-Uni parle de notre époque comme de l’« ère des algorithmes ». Pourtant, malgré leur omniprésence et le rôle essentiel qu’ils jouent dans l’utilisation que nous faisons de toute une gamme de produits et de services (des téléphones portables aux polices d’assurance), ces algorithmes restent relativement obscurs pour le grand public. Cela est dû à leur rôle auxiliaire, qui établit une séparation entre le sens et les données et qui dissimule la technologie qui anime une bonne partie de notre existence quotidienne.
Si nous nous trouvons vraiment toujours au cœur de la fameuse « révolution des données », les algorithmes vont continuer à tenir une place croissante dans nos vies. Mais, quel rôle peuvent-ils jouer dans le développement ?
Par George Bodie
Le premier exemple qui vient à l’esprit concerne la médecine. Souvent utilisés par les médecins pour prédire des résultats ou choisir des traitements, les algorithmes tiennent une place croissante dans les procédures de soins standardisées. Au Royaume-Uni, par exemple, la plupart des caisses primaires d’assurance-maladie ont maintenant normalisé des algorithmes pour le choix des traitements des patients présentant des troubles psychiatriques. En Afrique, des algorithmes sont en cours d’élaboration pour les régions touchées par le paludisme. Ils devraient permettre d’améliorer la précision des diagnostics afin de mieux répartir les médicaments anti-paludéens.
En réponse à la récente épidémie d’Ébola, la société canadienne Chematria a programmé de supers ordinateurs avec un algorithme qui simule et analyse des millions de médicaments potentiels afin de prédire leur efficacité dans la lutte contre la maladie, un processus qui peut, selon eux, remplacer les tests en laboratoire et donc améliorer substantiellement la vitesse et le coût de la procédure.
Des algorithmes ont aussi été mis au point pour la prévention des atrocités. Un récent concours lancé par l’USAID (US Agency for International Development) et l’ONG Humanity International a offert des prix jusqu’à 12 000 USD pour favoriser la création et le test d’algorithmes utilisant des indicateurs socio-politiques et des données sur les atrocités passées pour tenter de prédire les atrocités futures.
Outre sauver des vies, les algorithmes pourraient jouer un rôle important dans d’autres secteurs. Les algorithmes éducatifs se sont largement développés ces dernières années, le monde de l’éducation ayant commencé à prendre conscience de la réalité de l’« ère des données ».
En prévision de l’édition 2015 de la conférence eLearning Africa en Éthiopie, un intérêt particulier est porté aux objectifs de développement ambitieux du pays. Outre les Objectifs du Millénaire pour le développement, l’Éthiopie atteindra, en 2015, le terme de son Plan de croissance et de transformation à cinq ans. Un des principaux objectifs de ce plan ambitieux, qui vise à faire de l’Éthiopie un pays à revenu moyen d’ici à 2020-2023 (un objectif qui nécessiterait un taux de croissance annuel de 11,2 % pendant les 14 prochaines années), est d’améliorer les capacités d’enseignement technique et de formation professionnelle du pays.
Une récente évaluation du climat d’investissement en Éthiopie, réalisée par la Banque mondiale, estime que la productivité de la main-d’œuvre dans les grandes industries du pays n’atteint même pas la moitié de la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne. Comme le souligne le document de travail de 2008 du gouvernement sur l’enseignement technique et la formation professionnelle : « la Stratégie nationale sur l’enseignement technique et la formation professionnelle est une composante importante du cadre politique global de développement et de réduction de la pauvreté ».
Il est peut-être trop tôt pour savoir si l’Éthiopie parviendra à mener à bien ces objectifs ambitieux (mêmes si les derniers chiffres sur les OMD liés à la mortalité infantile étaient plutôt bons), mais il est impossible de nier que les problèmes liés au marché du travail persistent.
Un récent rapport sur l’état de l’enseignement technique et la formation professionnelle en Éthiopie a abordé le problème des mécanismes d’affectation utilisés dans le système très directif qui prévaut en Éthiopie. Selon les auteurs, Pramila Krishnan et Irina Shaorshadze, ce système a entraîné beaucoup d’inefficacité, car les étudiants qui postulent à des places dans les établissements d’enseignement technique et de la formation professionnelle se retrouvent souvent dans des cursus radicalement différents de la spécialisation qu’ils avaient choisie au départ. Pendant leur étude, les auteurs ont découvert un groupe de jeunes diplômés travaillant dans de grandes usines de fabrication de vêtements qui avaient, au départ, postulé à une formation de géomètre-expert, et pointent du doigt l’existence d’une économie parallèle d’échange de places qui serait en plein essor dans les rues d’Addis-Abeba.
L’utilisation efficace d’algorithmes pourrait-elle résoudre le problème ? Dans leur article, Krishnan et Shaorshadze parlent d’un mécanisme introduit à l’origine à Boston pour l’inscription dans les écoles publiques et qui servirait de modèle potentiel pour les inscriptions dans les établissements d’enseignement technique et de formation professionnelle en Éthiopie. Introduit pendant l’année scolaire 2005-2006, le mécanisme était censé être un « mécanisme stable et optimisé pour l’étudiant ». Il utilisait un algorithme d’acceptation différée en remplacement de l’ancien mécanisme qui affectait les étudiants sur la base de leur premier et de leur deuxième choix. Les auteurs estiment que ce mécanisme est, par nature, inefficace et inéquitable, car il crée une série d’affectations hypothétiques qui ont priorité sur les autres, et qu’il encourage les étudiants à élaborer des stratégies et à mentir sur leurs choix pour avoir plus de chance d’obtenir l’établissement souhaité. Le nouveau système, au contraire, est résistant à toute stratégie, tient compte des priorités des enfants dans chaque école et les encourage à dire la vérité en valorisant ceux qui révèlent leurs véritables préférences.
Les auteurs remarquent que le système d’affectation actuel est pratiquement similaire à celui de l’ancien système de Boston. Même si l’introduction, sur le marché éthiopien de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, d’un système ressemblant de près ou de loin au nouveau système de Boston nécessiterait beaucoup de travail et de réflexion, elle ne pourrait être que bénéfique.
Plus largement, les algorithmes semblent avoir beaucoup d’avenir dans l’éducation et le développement. Très flexibles et exempts de parti-pris cognitifs et sociaux, ils sont souvent considérés comme utiles pour repousser les obstacles traditionnels au développement. Le rôle qu’ils joueront dans le développement dans les années à venir reste encore à définir, mais les premiers signes montrent que ce rôle pourrait être vital.