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Rétablir les langues vernaculaires : 60 années de combat en faveur des langues africaines

Linguistic minoritiesComment les enfants peuvent-ils atteindre leur plein potentiel dès lors que l’enseignement qu’ils reçoivent leur est donné, dès l’enfance, dans une langue qu’ils connaissent mal et avec laquelle ils ne sont pas à l’aise ? C’est pourtant la dure réalité vécue par des enfants originaires de groupes ethniques minoritaires dans des pays où se côtoient de nombreuses communautés linguistiques. En Afrique, le problème est d’autant plus compliqué du fait de la prévalence de langues étrangères et coloniales dans le domaine de l’enseignement, et du fait du manque de volonté  des gouvernements de tenter l’expérience de les remplacer.  Alors même que l’Institut de l’UNESCO pour l’Apprentissage Tout Au Long de la Vie (UIL) emprunte la voie difficile du changement politique, d’autres institutions tentent de soutenir les langues africaines par d’autres moyens : par exemple, le Professeur Prah, fondateur du CASAS (Centre d’Etudes Appliquées pour le Société Africaine)  , pilote le projet Harmonisation et Standardisation des Langues Africaine dont l’objectif est d’établir une liste de langues et de dialectes africains mutuellement compréhensibles alors que d’autres mettent au point des technologies de synthèse vocale dans le but d’aplanir les difficultés d’apprentissage pour les minorités linguistiques.  

Par Matthew Labrooy

Il existe en Afrique de très nombreux enfants qui vivent dans des zones rurales et qui n’ont que peu, voire pas, d’accès aux outils d’éveil et ne peuvent bénéficier d’un enseignement dans leur langue maternelle, et ce bien que les dernières études disponibles tendent à prouver que les enfants originaires de communautés ethniques minoritaires qui ont la possibilité d’apprendre dans leur langue maternelle ont de meilleurs résultats scolaires et font une meilleure utilisation des outils pédagogiques qui leurs sont proposés par la suite. L’UNESCO plaide en faveur de l’utilisation des langues africaines dans l’enseignement depuis 1953, époque à laquelle a été publié un rapport qui a fait date et qui insiste sur l’importance d’enseigner aux enfants dans leur langue maternelle ; dès cette époque, ce rapport exhortait les gouvernements africains à abandonner les langues des anciens pays colonisateurs dans tous les domaines liés à la gouvernance et à l’instruction.

Soixante ans après la publication de ce rapport intitulé The Use of Vernacular Languages in Education (Utilisation des Langues Vernaculaires dans l’Enseignement), l’UIL continue de devoir se battre. Pourtant, si les choses n’ont que peu évolué au niveau politique, les preuves se sont accumulées et un nombre croissant d’études démontre, d’après un  Rapport de l’UIL publié en 2010, les « conséquences négatives de ces politiques : un enseignement de qualité médiocre et la marginalisation du continent », menant à ce que le Professeur Prah appelle « l’oubli progressif de la mémoire collective ».   Le rapport intitulé  “Why and how Africa should invest in African languages and multilingual education” (Pourquoi  et Comment l’Afrique devrait investir dans les Langues Africaines et dans l’Enseignement Multilingue), identifie plusieurs secteurs dans lesquels le changement doit s’opérer et constate que la fourniture d’un enseignement multilingue faisant appel aux langues maternelles fait écho à d’autres problèmes politiques, culturels et développementaux beaucoup plus profonds sur le front desquels des changements doivent s’opérer avant que ne puisse être mise en place une quelconque réforme de l’enseignement.

Le rapport met également en avant l’importance des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans le multilinguisme. L’Unesco reconnaît elle aussi le rôle des TIC et vient de lancer un programme afin que le Multilinguisme dans le Cyberespace (Multilingualism in Cyberspace) devienne réalité. Même les entreprises privées commencent à reconnaître les avantages à utiliser les langues africaines : « Des sociétés multinationales comme Microsoft se sont rendues compte qu’il était rentable pour elles d’investir dans les langues africaines car elles veulent s’adresser à près de 100 millions de locuteurs Kiswahili qui vivent dans 6 pays africains différents ». Wikipédia a lancé ses services dans plusieurs langues africaines parmi lesquelles le malgache, le yoruba, le tswana et le chichewa, bien que le nombre d’articles dans ces langues soit très variable, allant de quelques centaines à plusieurs milliers.

D’une manière plus générale, les outils numériques d’aide à l’apprentissage pour les enfants  sont en passe de devenir incontournables dans les salles de classe. Grâce aux nouvelles technologies, l’enseignement peut désormais être adapté à chaque élève en fonction de ses besoins propres.  A cet égard, le développement des outils de synthèse vocale a joué un rôle clé, avec la création de voix humaines artificielles. Ces innovations technologiques qui permettent (en théorie) aux enfants d’apprendre dans leur langue maternelle, proposent une plateforme d’apprentissage plus riche et plus intuitive que l’approche traditionnelle « papier et crayon ». Les études démontrent que les enfants qui ont appris tel ou tel concept d’une manière « plus intéressante » auront plus de facilité à le mémoriser et l’appliquer par la suite.

Certes, des outils de synthèse vocale existent dans la plupart des langues importantes mais il n’y a que peu de technologies de synthèse de la parole (Text-to-Speech Technologies – TTS) fonctionnant avec le système Android qui soient disponibles pour les langues africaines locales et jusqu’à présent, il n’existe pas de matériel d’éveil  dans des langues minoritaires, telles que la langue shona parlée au Zimbabwe.

C’est sur ce point qu’interviendra Ian Matamiri durant la Conférence eLearning Africa 2013. Ian Matamiri est l’un des rares chercheurs de l’Université du Zimbabwe à travailler sur la mise au point d’une application TTS pour la langue Shona : l’application Native Voice. Grâce à leur travail rigoureux, Matamiri et son équipe ont réussi à créer un outil d’éveil à la lecture disponible sur les tablettes utilisant la technologie Android.

Le projet a d’abord commencé avec pour objectif d’enseigner la lecture à des milliers d’enfants vivant dans des zones rurales, n’ayant que peu d’accès aux outils d’éveil et ne pouvant bénéficier de la présence d’un personnel compétent pour déployer ces outils. L’équipe de l’Université du Zimbabwe a donc proposé d’utiliser une application d’éveil à la lecture en langue locale afin d’aider un grand nombre d’enfants jusque-là marginalisés.

Ian Matamiri remarque que, bien que la technologie de synthèse vocale existe depuis les années 1980, elle n’a jamais été véritablement adoptée pour aider au développement de son pays. « Nous avons dépensé des millions sur du « papier sans vie », pour des résultats très médiocres. Nous pourrions ne dépenser que quelques milliers de dollars sur cette technologie fascinante et presque garantir des résultats positifs ».

Et le projet Native Voice n’est qu’un début.

« Le monde se transforme pas à pas, par de petites inventions qui font toute la différence dans nos manières de vivre, par de petites idées qui viennent à bout des énormes défis auxquels nos sociétés doivent faire face. Mon plus grand espoir est que le projet Native Voice permette de changer la vie, ne serait-ce que d’un seul enfant, dans les zones rurales du Zimbabwe ».

Ian Matamiri est l’un des orateurs invités de la Conférence eLearning Africa 2013 organisée à Windhoek (Namibie). Dans son exposé, il présentera ses travaux et les premiers pas de l’application Native Voice Shona utilisant la technologie TTS.

Pour plus d’information sur la Conférence eLearning Africa 2013, cliquer ici.

One Comment

  1. la question de l’utilisation des langues vernaculaires dans l’enseignement et la quotidien en général est une question très importantes pour nos sociétés africaines. Le monde évolue, et nous sommes invités à être nous même pour participer activement à l’édification du nouveau monde.L’Afrique est l’avenir du monde. merci

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