Fondée en 1964, la Banque africaine de développement (BAD) a financé des projets de développement à hauteur de 100 milliards de dollars sur l’ensemble du continent. Corbin Michel Guedegbe, analyste en chef en charge de l’éducation au sein de la BAD, évoque les travaux réalisés par cet institut en vue de la création d’un nouveau modèle éducatif pour l’Afrique dans le cadre de la Stratégie de développement humain actuellement en préparation.
Sachant que plus de 65 % de la population d’Afrique Subsaharienne est âgée de moins de 25 ans, le continent comptera dans les prochaines décennies une population active substantielle : des millions de personnes de 15 à 64 ans qui, si elles possèdent les compétences adéquates, pourraient remettre sur pied l’économie du continent. Depuis 2011, la stratégie de développement humain de la Banque africaine de développement comporte un volet sur l’adoption d’un nouveau modèle éducatif pour l’Afrique (NMEA). De quoi s’agit-il exactement ?
Installé dans les bureaux de la BAD à Tunis, Corbin Michel Guedegbe est analyste en chef en charge de l’éducation au département du développement humain où il a participé à la planification et à la mise en œuvre du NMEA. « D’ici à 2040, l’Afrique possèdera la plus grande population active au monde, explique-t-il. Une telle explosion de forces vives est tout à la fois source d’explosion démographique, mais elle est également génératrice de pressions sociales et politiques. Comme nous avons pu le constater au moment du Printemps arabe, la jeunesse est de plus en plus demandeuse d’emplois, d’autonomie et d’intégration sociale. C’est pour répondre à ces attentes que la BAD a adopté une stratégie de développement humain dotée d’un nouveau modèle éducatif pour l’Afrique. »
La stratégie consiste à créer de l’emploi, à améliorer la qualité des services publics, à mieux écouter les citoyens et à leur offrir des filets de sécurité sociale en période de crise économique. L’incorporation des TIC dans les pratiques d’enseignement et de formation est au cœur de l’approche du NMEA, d’où l’intérêt que porte la BAD à la conférence annuelle eLearning Africa qui traite de toutes ces questions. Le NMEA entend remédier à la disparité qui existe en Afrique entre développement des compétences et marché du travail. « Jusque-là, les programmes axés sur le marché du travail n’existaient pour ainsi dire pas en Afrique, explique C. M. Guedegbe. Aujourd’hui, notre nouveau modèle éducatif souhaite offrir aux établissements d’enseignement supérieur des solutions pour modifier leurs cursus afin de mettre l’accent sur les sciences, les technologies et l’entreprenariat, facteurs indispensables à l’évolution de l’économie africaine. »
Il est indéniable que nous devons nous efforcer d’offrir aux jeunes les compétences dont ils ont besoin pour satisfaire les demandes du marché. Au Maghreb, le taux de chômage des jeunes est particulièrement élevé : 18 % au Maroc, 24 % en Algérie et 31 % en Tunisie. En Afrique Subsaharienne, le taux de chômage des jeunes est moindre, mais il s’agit d’un résultat artificiellement plus faible, car ceux qui ont trouvé un emploi travaillent généralement dans le secteur informel où la productivité est inférieure et les possibilités d’avancement limitées. Il est encore plus perturbant de constater que le taux de chômage des jeunes qui ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur est plus élevé que celui des jeunes qui n’ont reçu aucune formation !
« Dans le cadre du NMEA, nous travaillons donc en relation étroite avec l’Université virtuelle africaine en vue de mettre en place un paradigme éducatif caractérisé par l’abandon progressif de l’enseignement scolaire traditionnel et par une utilisation accrue des TIC, indique C. M. Guedegbe. L’Université virtuelle africaine a créé le plus grand réseau d’établissements d’enseignement libre, à distance et électronique dans plus de 30 pays d’Afrique Subsaharienne. » Outre la réduction de la fracture numérique entre le monde rural et le monde urbain à l’échelle du continent, il est également demandé aux pays de lutter contre les disparités hommes/femmes qui caractérisent de nombreux lieux de travail.
Dans le cadre du NMEA, les jeunes étudiantes sont encouragées à mener des études de mathématiques et de sciences, les établissements d’enseignement supérieur à développer de nouveaux supports pédagogiques et les enseignants à moderniser leurs modules d’enseignement. « Des bourses ont été attribuées à 372 jeunes femmes afin qu’elles suivent des cursus de mathématiques, de sciences et de TIC, déclare C. M. Guedegbe. L’initiative de l’Université virtuelle africaine sur les ressources éducatives libres (qui présente ces supports liés au genre) a remporté le People’s Choice Award de la meilleure initiative émergente et le prix ‘Education-Portal.com’ 2011. » Il s’agit d’un résultat très positif, mais l’une des contributions les plus exceptionnelles du NMEA à ce jour est sans conteste le déploiement de Centres d’excellence sur l’ensemble du continent.
En 2011, la BAD a débloqué 124,3 millions de dollars destinés au financement de Centres d’excellence au Mali, au Rwanda et en Ouganda. Basés sur des partenariats public-privé, ces centres permettent aux établissements d’enseignement de tirer parti de l’expérience, des connaissances et des moyens financiers du secteur privé. Avec le soutien logistique et financier de la BAD, le Complexe numérique de Bamako (22 millions de dollars), l’université Carnegie-Mellon de Kigali (13 millions de dollars) et l’hôpital universitaire Mulago de Kampala (88,8 millions de dollars) ont tous adopté le NMEA et placé les TIC au cœur d’une approche éducative inclusive, axée sur le marché.
« Les projections des divers indices socio-économiques qui ont été réalisées pour les décennies à venir montrent clairement que la création de ce nouveau modèle éducatif pour l’Afrique est la voie de l’avenir », conclut C. M. Guedegbe.
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