« J’ai toujours imaginé le Paradis comme étant une sorte de bibliothèque » avait déclaré l’écrivain argentin Jorge Luis Borges en 1960. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, la plupart d’entre nous, auraient plutôt tendance à faire appel à internet qu’à un bibliothécaire quand il s’agit de trouver une information. Les archives de livres, revues et articles sont numérisées et mises en ligne à grande échelle, les encyclopédies et les dictionnaires sont désormais non seulement disponibles gratuitement en ligne mais ils sont alimentés par des connaissances provenant des utilisateurs, rendant ainsi le contenu encore plus complet que précédemment car des millions de personnes sont disponibles à tout moment, partout dans le monde, pour vous offrir l’expertise dont vous avez besoin. Ainsi, dans notre ère du numérique, avons-nous encore vraiment besoin de bibliothèques ? Peuvent-elles encore nous offrir le paradis de la découverte et du savoir dont Borges rêvait ? Lors d’une session spéciale d’eLearning Africa 2013, six intervenants sont venus nous prouver que les bibliothèques sont non seulement utiles mais essentielles au développement et à l’éducation en Afrique.
Par Alicia Mitchell
Introduisant la session « Les bibliothèques africaines à l’ère du numérique », Darren Hoerner, Directeur du Programme de la Fondation Bill & Melinda Gates et Président de cette session spéciale, suggérait que « les bibliothèques ont un impact qui va au-delà de leurs murs ». « Entrer en contact », changer de forme et développer de nouveaux formats sont certainement les thèmes récurrents de cette session, alors que des intervenants venant de toute l’Afrique sont venus échanger leurs expériences et études de cas sur la manière dont les bibliothèques en Afrique s’adaptent aux besoins de leurs utilisateurs en 2013.
Le premier intervenant fut Deborah Jacobs, Directrice de l’initiative Global Libraries, qui a commencé par expliquer en quoi les bibliothèques étaient indispensables en tant que « plateformes préexistantes de la communauté en faveur du développement » qui possèdent déjà l’infrastructure, le personnel et les services nécessaires pour atteindre les communautés locales. Elle a souligné des cas édifiants où les bibliothèques développaient leurs services bien au-delà du simple prêt de livres : En Ouganda, la bibliothèque municipale de Busongora propose un service de SMS, une émission de radio et des sessions de formations à plus de 500 agriculteurs de la région, alors qu’en Afrique du Sud, des jeunes d’une zone défavorisée de Cape Town reçoivent une formation aux TIC ainsi que des possibilités de formation complémentaire et des offres d’emplois via la connexion Internet à haut débit de leur bibliothèque.
Pour rendre compte de la situation des bibliothèques en Namibie, Veno Kauaria, Directrice du Service des Archives et des Bibliothèques de Namibie (NLAS), a présenté le succès rencontré par le Ministère de l’éducation dans ses efforts pour maintenir à l’ordre du jour le rôle de développement des bibliothèques. Après des négociations avec le Premier Ministre, le Ministère a obtenu l’autorisation d’utiliser une partie du budget alloué aux bibliothèques, qui était précédemment uniquement dédié aux livres, pour acheter des TIC et désormais toutes les bibliothèques en Namibie comptent au moins un bibliothécaire professionnel formé aux technologies de l’information et de la communication. « Nous nous sommes dit qu’il fallait faire preuve de pertinence » a expliqué Kauaria, soulignant l’engagement du NLAS dans le cadre du programme national des objectifs de développement dans les domaines de la pauvreté, de l’emploi, de la santé et de l’éducation.
L’opinion de Kuauria a été reprise par Agnes Akuvi Adjabeng de l’Agence de protection de l’environnement du Ghana, qui a préconisé l’utilisation des médias sociaux et d’Internet par les services des bibliothèques : « Les bibliothèques doivent sortir du lot et être visibles », a-t-elle dit, « aujourd’hui, nos lecteurs ne viennent pas à nous… il faut que nous fassions encore un pas de plus pour utiliser les ressources qui sont mises à notre disposition».
Charles Kamdem Poeghela, Directeur du Centre de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC), à Yaoundé, au Cameroun, a ensuite abordé le potentiel intrinsèque des bibliothèques, d’influencer les actions du gouvernement. Bien que les bibliothèques ne soient pas une priorité pour le gouvernement camerounais, a-t-il déclaré, le Ministère de la culture fut si impressionné par le travail réalisé par le CLAC dans le domaine de l’éducation via les TIC, que les représentants du Ministère sont venus visiter le Centre pour étudier la possibilité d’accroître l’accès et l’utilisation des TIC dans tout le pays.
Les nouvelles technologies et le changement de rôles permettent aussi aux bibliothèques d’apporter un élément de réponse au problème de l’inégalité dans l’accès à l’information et à l’éducation. En tant que Directeur exécutif de UNISA Library, le Dr Buhle Mbembo-Thata a dirigé de nombreuses initiatives destinées à « combler le fossé du numérique et de l’apprentissage » parmi les utilisateurs de la bibliothèque. Le Dr. Mbembo-Thata a explicité lors de cette session l’amélioration de l’accès aux ressources des étudiants handicapés et de ceux situés dans des régions isolées, par le biais d’appareils de conversion texte-audio et de bibliothèques mobiles équipées de centaines de milliers d’eBooks, de journaux et autres documents électroniques. La bibliothèque s’appuie également sur les services gratuits des médias sociaux tels que Twitter et les blogs pour permettre aux étudiants de recevoir toute l’actualité des services proposés par la bibliothèque.
La numérisation est en train de révolutionner la manière dont travaille la bibliothèque UNISA : le Docteur Mbembo-Thata a indiqué que cette année, pour la première fois, le « budget électronique » de la bibliothèque a dépassé le budget imprimé. Et qu’en est-il du personnel de la bibliothèque ? Grâce à la gestion numérique des stocks et aux systèmes de libre-service de pointe, les bibliothécaires ont désormais plus de temps libre et peuvent ainsi se consacrer à offrir le meilleur service possible aux nombreux utilisateurs de la bibliothèque.
Henk Van Dam, responsable de projet Développement des Compétences de la Dutch Royal Tropical Institute (KIT), a présenté son expérience acquise en travaillant dans des bibliothèques au Mozambique et au Ghana et il a ainsi décrit les nombreuses facettes du rôle du bibliothécaire au XXIème siècle : « Un professionnel de l’information, un courtier de la connaissance et un enseignant, le tout en un. »
Le rôle des bibliothèques dans les années à venir subira encore clairement de nombreux changements mais avec plus de 230 000 bibliothèques locales dans les pays en développement (cliquer ici pour consulter la carte complète des bibliothèques locales dans le monde, produite par Beyond Access) et de nombreuses autres bibliothèques rattachées à des universités, des hôpitaux, des musées et d’autres institutions, le pouvoir des bibliothèques de mettre en œuvre un changement à l’échelle globale ne devrait pas être sous-estimé.