Parler de télécentres en Afrique recouvre des réalités très diverses qui vont des multiples petites échoppes de téléphonie ou café internet multiservices aux réseaux de télécentres communautaires polyvalents, projets mis en place par une volonté gouvernementale et avec le soutien de financements internationaux (1). Chacun d’entre eux joue cependant à sa manière un rôle dans l’appropriation des pratiques et des usages TIC par la population (2).
Par Philippe Royer
On peut dire qu’un télécentre est un espace public grâce auquel des utilisateurs peuvent avoir accès aux différents outils TIC leur permettant de s’informer, de se former et de communiquer, ceci tout en facilitant une meilleure connaissance des outils et des infrastructures numériques. Si chaque télécentre demeure spécifique, l’objectif commun est de mettre les TIC en soutien au développement social, économique et culturel, en facilitant la mise en réseau social des personnes, et de ce fait de réduire le fossé numérique.
Le modèle de référence est le TCP / Télécentre communautaire polyvalent, soutenu dès 1996 par l´Unesco dans différentes régions du monde (3)
Depuis la fin des années 90, (4) de nombreux projets d’accès public aux TIC se sont régulièrement développés sur le continent africain, de manière plus ou moins ordonnée, publics et/ou privés, gratuits ou payants. On peut y voir une conséquence directe de la faiblesse des infrastructures des réseaux télécoms, du manque de concurrence entre opérateurs, du coût d´accès à leurs services et aux équipements informatiques. Le continent, faut-il le rappeler, étant en la matière encore le plus cher au monde (5). Cette tendance est peut-être en train de s´inverser à cause du taux de pénétration de la téléphonie mobile, des grands projets d´infrastructures technologiques et d´une concurrence accrue entre opérateurs et équipementiers !
Beaucoup de télécentres sont localisés en zones urbaines et périurbaines, mais leur nombre augmente significativement en zones rurales. L’accès y est pourtant plus ou moins facile selon les pays. Il reste en général tributaire des questions liées au genre ou à la paupérisation rurale qui en limitent souvent l’utilisation. Ainsi au Mali, par exemple, trop peu de femmes les fréquentent encore (6), d´autres critiquent leur implantation là où une majorité d´habitants sont analphabètes ! Sur le plan économique, ils peinent à trouver des modes de gestion adaptés qui leur permettraient de générer des revenus, de faire face à la concurrence des grandes entreprises et de s’adapter aux mutations technologiques. (7)
L´impact des TCP / Télécentres communautaires polyvalents
S´ils sont souvent confrontés à ces problèmes de viabilité et de durabilité (7), ils sont cependant les véritables nœuds de transformation de la culture et de l´économie africaine, particulièrement en zone rurale où ils deviennent le centre vital d´écosystèmes, lieux d´innovation sociale et économique, créant une dynamique productrice de richesses et de savoirs entre les communautés rurales et urbaines. En Afrique, l´accès aux TIC, plus que nulle part ailleurs, donne naissance à des solutions endogènes qui transforment les entreprises et dynamisent l’entrepreneuriat, l’innovation et la croissance économique. (8)
Ainsi, les TCP peuvent prendre en charge les entreprises rurales à travers une multitude de services. Par exemple les agriculteurs utilisent les outils TIC mis à disposition sur un mode partagé pour accéder aux marchés urbains et créer des liens en veille commerciale, afin d´étendre leur activité ou pour se former à de nouvelles compétences professionnelles. Leurs clients peuvent également passer des commandes en ligne. (8)
Mutualisation, mise en réseaux / Une condition sine qua non de bon fonctionnement des TCP
Le voyage d´étude de 12 délégations des pays d’Afrique francophone et anglophone, invités en 2010 à Bangalore en Inde pour explorer et comprendre le système – public-privé – des TCP en milieu rural (9), a certainement été l´un des catalyseurs politiques qui a permis de booster la mise en réseaux de plusieurs projets nationaux (10). En plus du nécessaire engagement gouvernemental et du soutien de l´aide internationale, la mutualisation des ressources, techniques et contenus, et des savoir-faire ont été identifiés comme étant les conditions sine qua non de pérennité des TCP. C´est à ce niveau qu´interviennent souvent les acteurs de la société civile et autres structures privés, maillant de par le continent et au niveau du village mondial les bonnes pratiques, mutualisant ressources et nouvelles compétences.
Parmi ces acteurs, SATNET (11) est un réseau régional de télécentres pour les pays d’Afrique Australe. Son objectif premier est de promouvoir le partage de connaissances et le travail en réseau entre télécentres afin de faciliter le développement socioéconomique dans cette région. Les échanges de savoir et les interactions à l’échelle régionale revêtent une importance croissante comme moyens de promouvoir le développement territorial en Afrique (8).
telecentre.org est une communauté mondiale de personnes et d’organisations résolument décidées à accroître l’impact socioéconomique des télécentres locaux. Netafrica en est le hub pour le continent africain (12). Nous pouvons également faire référence à la Fondation InfoBridge (13), Afriklinks (14), UgaBYTES (15) ou au Forum e-brain (16), autant de plates-formes et de réseaux impliqués dans le déploiement de projets de télécentres sur diverses régions du continent.
Perspectives : l´avantage de se moquer quelquefois du crocodile avant d’avoir atteint l’autre rive…c´est qu´on apprend à nager plus vite…
Les nombreuses initiatives et mises en place de TCP ou autres cybercases (17) ont souvent démontré, malgré les nombreuses difficultés rencontrées qu´il fallait prendre le risque d´inverser les logiques traditionnelles /l´ordre des priorités d´aménagement du territoire, l´accès aux TIC devenant alors la clef de voûte de son développement et de sa prospective…
Grâce à un meilleur accès public aux outils et pratiques TIC, les relations Nord-Sud sont en train d´évoluer considérablement tout comme les usages des applications Web2.0, Web3.0; ceci également au sein des régions africaines entre zones urbaines et rurales. Les chantiers sont immenses, les écarts gigantesques, mais de nouveaux modèles se mettent en place sur un mode endogène dans les e-communautés africaines au même rythme qu’en Europe ou en Asie – Barcamps, fablabs poussent leurs profils du Cap à Dakar, même si cela semble encore excentrique pour beaucoup (18) ! La dernière édition d’innovAfrica 2012 (19) (20), nous donne une belle fresque des capacités d’innovation sur le continent africain et à ce titre les TCP pourraient en être autant de carrefours des possibles !
Sources/Documentation
- http://www.itu.int/net/itunews/issues/2009/06/23-fr.aspx
- http://afriqueitnews.com/2012/12/15/les-salles-de-jeux-les-nouveaux-telecentres-a-dakar/
- http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=5341&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
- http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Fonds_ADEN_-_reglementV4-2.pdf
- http://perfcons.com/bibliotheque/publication/PDF/doc%20sectoriel/telecoms_ES042010.pdf
- http://communaute.telecentre.org/forum/topics/theme-du-mois-de-decembre-les-femmes-et-les-telecentres
- http://web2solidarite.ning.com/group/accessibilit/forum/topics/aden-les-difficultes-des-1?page=1&commentId=2341894%3AComment%3A10865&x=1
- http://www.rural21.com/uploads/media/rural_fr_20-23_02.pdf
- http://connectikpeople.blogspot.de/2012/01/tele-centrelumiere-sur-le-developpement.html#.UPPoRvJP_Sg
- http://telecentre-collectivite.ning.com/profiles/blogs/atelier-de-mise-en-place-du
- http://www.satnetwork.org/
- http://www.telecentre.org/networks/netafrica/
- http://www.infobridge.org
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Afriklinks
- http://ugabytes.org
- http://www.iicd.org/about/publications/e-brain-forum-of-zambia-1
- http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/17587/afrique-les-cybercases-pour-relier-les/
- http://jokkolabs.net/action-tank/innovation-Fablabs.html
- http://imaginationforpeople.org/fr/forum-innovafrica/dakar-2012/communique/
- http://www.innovafrica.org/