Field Stories

Informatique « One to one » en Ethiopie

La notion de transformation de l’éducation grâce à l’informatique «one to one» est actuellement un sujet très brûlant dans toute l’Afrique. Des initiatives sont actuellement en cours dans différents pays, en particulier au Nigéria, au Rwanda, en Ethiopie et au Ghana. Mais l’informatique «one to one» est-elle réellement possible pour chaque enfant et est-elle la solution la plus appropriée et la plus rentable en termes d’utilisation des ressources ? Suite à un débat particulièrement animé lors de la récente conférence ONLINE EDUCA à Berlin, David Hollow, l’un des fondateurs de Jigsaw Consult en Grande-Bretagne, examine l’initiative OLPC (One Laptop Per Child) en Ethiopie.


33 millions d’enfants ne sont pas scolarisés en Afrique subsaharienne. Le nombre d’enfants non scolarisés a cessé de baisser et il est maintenant probable qu’il y aura plus de jeunes dans cette situation en 2015 qu’aujourd’hui. Cette situation nécessite évidemment une action radicale. Je partage l’idée relativement répandue que la technologie a un rôle à jouer dans l’éducation et qu’il est urgent d’agir dans ce domaine. De nombreuses initiatives ont été engagées dans ce sens. L’informatique « one to one » en est une. Elle prétend être la solution qui s’impose pour relever les défis de l’éducation en Afrique.

Parmi les exemples d’utilisation de l’informatique «one to one» dans l’éducation, notons l’expérience de l’OLPC en Ethiopie où, au cours des trois dernières années, un plan pilote a été mis en place dans cinq écoles différentes, avec le déploiement de 5 900 ordinateurs portables. En Ethiopie, 2,7 millions d’enfants d’âge scolaire n’ont pas accès au système scolaire. Il y a une moyenne de 59 élèves en âge d’école primaire par enseignant et les ressources d’enseignement telles que les manuels scolaires sont disponibles en très faible nombre.

A la Royal Geographical Society à Londres, en mai 2011, j’ai assisté à un débat organisé par Nicholas Negroponte, fondateur du projet OLPC, au cours duquel il parlait du programme pilote en Ethiopie. Ayant moi-même travaillé dans les écoles qu’il citait en exemples pour illustrer la façon dont les ordinateurs portables sont en train de révolutionner l’éducation, j’ai été intrigué et j’ai cherché à en savoir plus.

Monsieur Negroponte a fourni des anecdotes justifiant un déroulement d’action spécifique. Il a suggéré qu’en Ethiopie la plupart des enfants qui avaient été équipés d’un ordinateur portable ont appris à utiliser cet outil mais aussi à programmer. Il est alors allé plus loin, pour expliquer à quel point l’impact positif des ordinateurs sur l’éducation était indéniable, et que la seule question valide était celle de savoir si les ordinateurs étaient financièrement accessibles.

L’idée que la plupart des enfants qui avaient été équipés d’ordinateurs portables en Ethiopie pourraient pratiquer la programmation à un haut niveau est très éloignée de la réalité à laquelle j’ai été personnellement confronté. D’après mon expérience, même si de nombreux enfants se plaisaient à jouer sur leur ordinateur, l’intégration de l’ordinateur à la journée d’école restait limitée. La plupart des enseignants avaient en effet fait valoir que les ordinateurs empêchent les enfants de se concentrer, ce qui avait amené certains professeurs à bannir complètement l’ordinateur de la salle de classe.

Mon expérience personnelle concernant le projet OLPC en Ethiopie me laisse penser que les discours ne correspondent pas à la réalité. Rêver du jour où chaque enfant sera équipé d’un ordinateur et de la transformation de l’éducation revient à ne pas tenir compte du vécu des étudiants et professeurs.

La dure réalité de l’Ethiopie tient à ce que les finances sont limitées en matière d’éducation : Les montants qui sont dépensés au titre d’une initiative donnée ne peuvent, par définition, pas être consacrés à une autre initiative. Ainsi, comment décider de la façon dont on peut quantifier la valeur éducationnelle d’une telle solution ? Comment savoir si les ordinateurs portables constituent la façon la plus rentable de prodiguer une éducation de haute qualité en Ethiopie ?

En imaginant que l’expérience OLPC (One Laptop Per Child) ait atteint son objectif qui consiste à ce que chaque enfant de l’enseignement primaire éthiopien soit équipé d’un ordinateur portable, le coût de base total (comprenant distribution, formation et maintenance) de l’opération atteindrait 2,4 milliards de dollars US. A supposer que les ordinateurs portables puissant durer cinq ans, ceci revient à un coût de maintenance de 297 millions de dollars US par an (coût total de possession de chaque ordinateur multiplié par 1/8ème des effectifs nationaux). La première année, ce montant représenterait 214% du budget de l’éducation primaire à l’échelle nationale. Ainsi, pour pouvoir fournir un ordinateur portable à chaque élève de l’enseignement primaire, il faudrait n’engager aucune dépense en matière de salaires des enseignants, manuels scolaires, infrastructures ou autres ressources d’éducation pendant plus de deux ans.

A titre de comparaison, le prix d’un manuel scolaire en Ethiopie est de 0,5 dollars US (soit environ 8 ETB). Mais les manuels sont rares et de nombreux enfants fréquentant l’école n’y ont pas accès. Fournir à chaque élève de l’école primaire en Ethiopie un jeu complet de manuels scolaires reviendrait à 38 millions de dollars US. En imaginant que manuels scolaires et ordinateurs portables aient une durée de vie comparable, fournir à chaque enfant de l’enseignement primaire un manuel pour chaque matière reviendrait à environ 1,5% du montant total requis pour équiper les élèves d’un ordinateur portable.

L’objectif de cette démonstration n’est pas forcément de nous décourager de promouvoir l’informatique «one to one» en Afrique. Mais cette réflexion devrait nous amener à repenser soigneusement notre approche dans un contexte de ressources financières limitées et à relativiser l’importance de son intégration au sein de l’infrastructure d’éducation préexistante. Si notre objectif ultime est l’éducation, d’autres options doivent également être envisagées : Fournir des manuels scolaires à chaque élève est une solution appropriée. Un autre choix valable consisterait à fournir des ordinateurs portables à tous les professeurs !

 

 

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