Sur le terrain

Finis les eDéchets grâce au projet « TVs from PCs » !

Un écran de télévision plat pour seulement 4 000 shillings kényans (environ 36 €), cela vous dit ? C’est le prix que coûte actuellement une télévision « verte » à sa sortie de la première usine de recyclage d’eDéchets d’Afrique de l’Est, installée à Nairobi. D’après l’Union Internationale des Télécommunications, seuls 13 % des déchets électroniques mondiaux sont recyclés. Souvent utilisés comme dépotoirs à équipements usagés, les pays en développement vont devoir mettre en place des mesures strictes pour gérer les eDéchets. La télévision « verte » relève le défi.

La campagne « TVs from PCs » est le nec plus ultra en termes de recyclage. L’initiateur en est Tom Musili, responsable du Centre des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) de Nairobi, un centre qui accueille les ordinateurs en fin de vie provenant du Kenya et d’ailleurs. Les ordinateurs sont entièrement démontés et tous les composants qui peuvent être récupérés retrouvent une nouvelle jeunesse. Le cuivre et l’aluminium sont mis de côté, le plastique est réutilisé de mille façons et, surtout, les écrans plats deviennent de merveilleux téléviseurs.

« Nous convertissons les écrans plats à matrice active (TFT) en écrans de télévision, explique Tom Musili. La technique n’est pas évidente, mais, au fil des années, le Centre DEEE est devenu expert en la matière. » Les écrans TFT offrent une résolution tout à fait satisfaisante et permettent d’obtenir des téléviseurs pour lesquels les gens sont prêts à débourser entre 4 000 et 5 000 shillings. Tom Musili a tellement confiance dans la qualité et la longévité de ces téléviseurs qu’il en possède deux chez lui. Sur le millier de téléviseurs sortis de la ligne de production du Centre DEEE, la plupart ont été conçus pour traiter le signal analogique qui a toujours prévalu au Kenya. Avec le passage à la télévision numérique dans les mois à venir, le centre va devoir s’adapter, ce qui, d’après Tom Musili, ne devrait toutefois pas présenter de difficultés.

Même si l’histoire semble belle, tout n’est pas rose au pays des eDéchets. Parmi les ordinateurs qui finissent au Centre DEEE, beaucoup sont d’âge très avancé et ne possèdent pas les composants internes qui leur permettraient d’être transformés en téléviseurs. « Les écrans à tube cathodique sont encombrants et peu adaptés à cette conversion, explique Tom Musili. C’est la partie la plus difficile à gérer dans le processus de recyclage ». La toxicité est un problème récurrent des écrans cathodiques en raison des quantités importantes de métaux lourds comme le plomb et le cadmium qu’ils contiennent. Lorsque ces écrans sont jetés dans les décharges, ils représentent un risque sanitaire sérieux pour les personnes y récupérant les déchets. Toute personne s’intéressant à la gestion des eDéchets doit être consciente de ces dangers.

Le projet « TVs from PCs » du Centre DEEE est, en fait, le prolongement d’un projet plus important lancé par Tom Musili il y a une dizaine d’années. Au moment de la création de Computers For Schools in Kenya(CFSK) en 2002, il était fait peu de cas de sa volonté d’équiper les écoles sans ressources d’ordinateurs provenant de donateurs. Récupérer les eDéchets d’autres pays est une épée à double tranchant : même s’il existe un réel besoin de TIC à bas coût dans la plupart des pays africains, se contenter des restes des autres n’est pas toujours la meilleure solution. Les ordinateurs jetés sur les rivages africains sont parfois obsolètes ou en passe de le devenir, et certaines personnes considèrent qu’accepter ces dons est dégradant, destructeur ou simplement malvenu.

Fait accompli : Tom Musili ouvre un laboratoire TIC en faveur de Computers for Schools Kenya.

Tom Musili estime, pour sa part, que l’acquisition de compétences informatiques de base ne nécessite pas la présence de matériel dernier cri. D’abord sceptique, le Ministère de l’Éducation a rapidement été convaincu des mérites du projet de Tom Musili lorsqu’il a constaté que les gouvernements canadien, chilien et colombien ouvraient des centres informatiques dans les écoles grâce à des dons d’ordinateurs. « J’étais persuadé qu’il serait facile d’adopter une approche similaire dans les écoles kényanes, le but ultime étant de former une nation compétente et capable d’utiliser les TIC. » Le projet s’est finalement concrétisé grâce à la banque Barclays qui a fait don de 200 ordinateurs à l’association par l’intermédiaire de Digital Links, une entreprise sociale du Royaume-Uni. « De nombreuses entreprises modernisent leurs systèmes informatiques alors que leurs ordinateurs sont encore en parfait état de marche. Ces machines conviennent parfaitement pour les écoles », indique Tom Musili.

Le projet a alors pris son essor, mais, en 2005, un nouveau problème s’est posé. « Nous avons commencé à constater que certains ordinateurs arrivaient en bout de course et nous avons dû retourner dans les écoles pour les récupérer », explique Tom Musili. Sachant que l’élimination des déchets d’équipements électriques et électroniques est dangereuse pour l’environnement, il a fallu trouver de nouveaux moyens de prendre en charge ces machines usagées. C’est ainsi que le projet « TVs from PCs » a vu le jour. À ce jour, CFSK a fait don de plus de 50 000 ordinateurs à travers tout le pays. Le gouvernement, les entreprises, les donateurs privés et même certaines agences locales des Nations unies commencent maintenant à apporter leurs vieux ordinateurs à CFSK et au Centre DEEE. Les machines qui ne sont pas encore en fin de vie sont placées dans des écoles, les autres pourraient bien finir dans le salon de l’un de vos voisins.

Tom Musili considère que son modèle de recyclage pourrait être étendu à d’autres pays africains. C’est pour cette raison que le Centre DEEE, par l’intermédiaire du projet Digital Pipeline Africa, a décidé d’œuvrer avec d’autres pays à l’amélioration de la gestion des eDéchets sur l’ensemble du continent. « Nous nous sommes associés à huit autres pays, dont le Ghana, Madagascar, le Nigeria, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe, afin de partager notre savoir-faire et d’approfondir nos connaissances sur l’élimination responsable des eDéchets. » Il est de plus en plus urgent de trouver des solutions pratiques à ce problème. En effet, le Programme Environnemental des Nations Unies (PNUE) estime que d’ici à 2017, l’Afrique pourrait générer plus de eDéchets que l’Europe. Il est donc impératif de mettre en place davantage de systèmes de recyclage, une évolution qui sera synonyme de création d’emplois écologiques et donc capable de stimuler de manière durable l’économie des pays concernés. Cette évolution est une des priorités de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, ainsi que de la Convention de Bamako (qui interdit, d’ailleurs, l’importation de déchets dangereux en Afrique). Il s’agit maintenant pour les gouvernements africains d’appliquer ces conventions, puis de trouver des moyens adaptés de traiter les eDéchets générés dans chaque pays.

Pour le moment, il n’y a littéralement, dans le modèle du Centre DEEE rien à jeter !

Pour en savoir plus sur le Centre DEEE, cliquez ici.

Ce thème sera abordé plus en détail lors de la manifestation eLearning Africa 2012, dans le cadre de la session 01ERS Policy Responses to Responsible eWaste Management in Africa, qui aura lieu le jeudi 24 à Cotonou.

 

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