Par Efosa Ojomo
J’ai grandi au Nigeria, où près de la moitié de la population vit encore dans l’extrême pauvreté. Toutefois, même pour la plupart des gens qui sont extrêmement pauvres, l’éducation a une très grande valeur. Et pour cause, la majorité des enfants (plus de 70 %) fréquentent l’école primaire et près de la moitié sont inscrits en cycle secondaire. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux envisagent des études supérieures. Cette valorisation de l’éducation n’est pas l’apanage du Nigeria. En effet, ces deux dernières décennies, l’accès universel gratuit à l’éducation de base a été un élément clé du programme de divers gouvernements africains. Des experts mondiaux du domaine du développement voient en cette démarche une phase essentielle. Elle a été jugée tellement importante qu’elle est devenue le deuxième Objectif du millénaire pour le développement, et lorsque cet objectif n’a pas été atteint en 2015, il a été reconduit en quatrième Objectif de développement durable.
Le fait d’aller à l’école peut conférer de nombreux avantages tant au niveau des individus que de la société dans son ensemble : prise en charge sécurisée des enfants en journée, rencontre des pairs par les jeunes d’une communauté, etc. Malheureusement, plusieurs établissements scolaires peinent ou sont incapables de révéler les potentiels avantages académiques et économiques de l’école. Et même dans certains des pays les plus développés, les débouchés professionnels ne sont pas clairs. Voici trois signes qui démontrent les limites de divers programmes promouvant l’accès universel à l’éducation en Afrique.
- Plusieurs programmes ne peuvent prendre en charge l’afflux d’élèves.
Au Ghana, par exemple, où le président a promis que l’accès au cycle secondaire serait gratuit pour tout le monde, la ruée a saturé le système éducatif. Ce programme, qui a coûté 74 millions de dollars américains la première année, n’est toujours pas assez équipé pour prendre en charge les dizaines de milliers d’élèves qui tirent profit de cette offre. Les élèves doivent désormais fréquenter en alternance en raison des effectifs pléthoriques. En Sierra Leone, une fois la gratuité de l’école effective pour 1,1 million d’élèves, plusieurs ont été renvoyés chez eux à cause de l’incapacité du système à les prendre en charge tous.
2. Les acquis d’apprentissage laissent vraiment à désirer.
Même lorsque des milliards de dollars investis dans les infrastructures éducatives ont permis d’accueillir régulièrement les enfants dans une salle de classe physique, dans la plupart des écoles, l’apprentissage est de très mauvaise qualité. Les tests d’aptitude d’alphabétisation et de calcul montrent que, en général, les élèves des pays à faible revenu ont de moins bons résultats que 95 % des élèves des pays riches.
3. Plusieurs diplômés ont du mal à trouver du travail.
En Afrique du Sud, le pays africain le plus industrialisé et le plus développé, le gouvernement investit certes une plus grande proportion de son PIB dans l’éducation que les pays de l’OCDE, mais les résultats sont catastrophiques. Le diplômé moyen de l’enseignement secondaire ne trouve pas un emploi avant la trentaine, période où la plupart sont parents. Dans plusieurs autres pays africains, la situation est similaire. Sinon pire.
L’échec des divers systèmes scolaires est dû à diverses raisons, des infrastructures insuffisantes à l’important déphasage entre les écoles et l’économie locale. Plutôt que de continuer à investir de l’argent dans des systèmes clairement inefficaces, les gouvernements des pays pauvres peuvent améliorer les acquis d’apprentissage. Ils pourront ainsi accroître les chances de leurs élèves de trouver des emplois en apprenant des organisations qui s’attèlent à trouver une solution au casse-tête éducatif. Même si aucun de ces modèles n’est parfait, ils proposent une perspective différente qui permet d’évaluer et de remédier au problème complexe consistant à éduquer des centaines de millions de gens.
Connecter l’éducation aux économies locales
Des milliers d’établissements scolaires privés d’enseignement primaire et secondaire à moindre coût sont créés à travers le monde et plusieurs ont des résultats prometteurs. Bridge International Academies, réseau d’écoles à moindre coût, est un exemple de ce phénomène.
Ces établissements proposent leur offre aux parents les plus démunis et, par conséquent, sont fortement encouragés. Ils créent des solutions éducatives adaptées aux attentes des parents (alors que le financement des programmes d’accès universel ne s’appuie parfois pas sur des acquis d’apprentissage). Les programmes éducatifs Bridge tirent parti des technologies si nécessaire, mais conçoivent aussi un programme scolaire normalisé permettant à l’organisation d’assurer le contrôle de qualité. Cette approche a débouché sur de meilleurs acquis d’apprentissage pour les élèves Bridge et certains gouvernements en prennent note.
En 2016, par exemple, le gouvernement libérien s’est associé à Bridge pour transformer l’enseignement public du pays. Les résultats ont été impressionnants.[1] Une évaluation indépendante menée par deux organisations de développement respectées, le Center for Global Development et Innovations for Poverty Action, a révélé qu’après juste neuf mois, le programme a favorisé une hausse de l’apprentissage estimée à 60 %. De plus, les élèves du réseau Bridge ont appris à apprendre deux fois plus vite que ceux des écoles publiques du voisinage.
Cependant, ça ne suffit pas d’avoir de bons résultats en alphabétisation, calcul ou dans d’autres matières.
En définitive, pour plusieurs élèves, le principal objectif de l’éducation est d’élargir les possibilités d’emploi. À cet effet, l’éducation doit en partie être adaptée aux besoins des économies locales et mondiales, et les organisations telles que Moringa Schools et Andela démontrent comment y parvenir. Contrairement aux autres programmes de formation supérieure qui s’activent à préparer les étudiants aux aléas de l’économie, ces organisations s’attèlent spécifiquement à former des jeunes aux compétences du 21e siècle, nécessaires pour être productifs dans l’économie mondiale et de plus en plus numérique d’aujourd’hui. Par exemple, chez Andela, les candidats sélectionnés suivent une formation payante de quatre ans et exercent des fonctions de contact avec les clients au bout de six mois. Andela compte parmi ses clients Microsoft, Viacom, Github et plusieurs autres entreprises mondiales.
Lorsque les écoles n’honorent pas leur
promesse de rigueur académique pouvant aider les diplômés à gravir les échelons
économiques, le chômage de masse et la méfiance généralisée à l’égard de la
valeur de l’éducation s’ensuivent. Même si nous convenons tous que l’éducation
est une composante essentielle du développement économique et personnel, notre
objectif ne doit pas être de simplement rassembler autant d’élèves dans les
salles de classe que possible. Et si nous nous focalisions davantage sur nos
efforts visant à améliorer l’apprentissage et l’emploi ? Si les
gouvernements et les organisations de développement repensent fondamentalement
l’objet de l’éducation, je suis convaincu que les investissements consacrés au
secteur porteront plus de fruits.
[1] Tous les établissements scolaires privés ne peuvent se prévaloir de tels résultats. Après une analyse stricte des données de l’étude sur les écoles privées et publiques, les avantages pour les écoles privées sont légèrement meilleurs que pour les écoles publiques. Il faut toutefois de tenir compte des circonstances. https://www.cgdev.org/blog/low-cost-private-schools-what-have-we-learned-five-years-dfid-rigorous-review