Sur le terrain

La renaissance des langues africaines en ligne

Flag on button keyboard, flag of Algeria
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Le 5 janvier 2016, le gouvernement algérien a publié un projet de nouvelle constitution. Parmi les dispositions destinées à renforcer le processus démocratique dans le pays figure un article qui vise à offrir à la langue berbère (tamazight ou amazigh) une reconnaissance officielle.

Par Alasdair Mackinnon

Le berbère, qui a été introduit comme langue nationale dans certaines écoles en 2002, se retrouverait ainsi sur un pied d’égalité avec l’arabe. Après une décision similaire prise au Maroc en 2011, cette évolution peut être considérée comme une victoire considérable pour les 25 % de la population algérienne qui parlent les langues berbères. Internet a également joué un grand rôle dans ce résultat.

Cette évolution, si elle est promulguée en loi, reflétera les progrès réalisés par les populations berbères d’Afrique du Nord pour faire reconnaître leur langue natale. L’ère postcoloniale a vu plusieurs pays nord-africains rejeter les langues européennes et adopter la langue et l’identité arabes, ce qui a conduit à la marginalisation ou à l’oppression de nombreux autres groupes linguistiques et culturels.

L’avènement d’Internet dans les années 1990 a donné aux populations berbères la possibilité de se connecter entre elles à travers les frontières et leur a fourni les ressources nécessaires pour promouvoir et enseigner leurs langues. Des sites tels que Amazigh-Net ont été créés pour discuter des questions berbères. L’ancien alphabet berbère, le Tifinagh, utilisé dans les écoles marocaines depuis 2003, a également bénéficié d’une renaissance en ligne.

La présence des langues africaines sur Internet s’est accrue ces dernières années. Google Translate, par exemple, a ajouté le somali, le zoulou, l’igbo, le yoruba, et le haoussa en 2013, puis le chichewa, le malgache et le sésotho en 2014. Dans le cas du berbère, il est clair que la présence d’une langue en ligne peut être particulièrement utile pour l’éducation et pour la reconnaissance de cette communauté.

Certains obstacles doivent toutefois être surmontés pour permettre l’utilisation d’une langue en ligne. Tout d’abord, les personnes qui parlent cette langue doivent avoir accès à un ordinateur ou à un smartphone. Il leur faut ensuite disposer d’un clavier pour pouvoir saisir un système orthographique que leurs lecteurs puissent comprendre, une étape qui ne va pas sans difficultés.

Depuis sa naissance en tant qu’entité mondiale, Internet a toujours favorisé les langues « internationales » et les caractères latins. Même si la plupart des appareils d’aujourd’hui prennent en charge l’alphabet arabe, de nombreux locuteurs arabes communiquent en ligne en utilisant un « alphabet de tchat arabe », c’est-à-dire un système qui permet d’écrire l’arabe sur un clavier latin en utilisant des lettres, des ligatures ou des chiffres pour représenter les lettres et les sons arabes qui n’ont pas d’équivalent clairement établi dans l’alphabet latin.

Critiquée par certains comme une forme nocive d’occidentalisation, cette innovation marque, du point de vue historique, un retour en arrière intéressant par rapport au processus que les Grecs anciens ont utilisé pour créer le premier alphabet européen, puisqu’ils ont pris l’alphabet sémitique (phénicien) et qu’ils ont utilisé ses lettres supplémentaires pour représenter les voyelles.

Le choix d’un alphabet pose de nombreux problèmes politiques et pratiques. Généralement, un système d’écriture spécifiquement conçu pour une langue ou un dialecte est mieux à même de le représenter avec précision car il est le produit de l’unité culturelle de ses locuteurs, comme c’est le cas de l’alphabet tifinagh actuellement utilisé au Maroc. Toutefois, l’utilisation d’un tel système peut également couper sa communauté du reste du monde. En effet, même si l’utilisation de l’alphabet latin peut avoir des connotations désagréables de colonialisme, l’argument selon lequel il facilite la communication internationale n’est pas dénué de sens.

De nombreuses langues d’Afrique subsaharienne ont déjà été translittérées en caractères latins, les missionnaires et les colonialistes occidentaux souhaitant en établir des versions standardisées. Selon le Dr Helma Pasch de l’université de Cologne, certaines de ces initiatives ont pris racine, particulièrement pour les langues largement imprimées et diffusées. D’autres, par contre, sont beaucoup moins bien acceptées.

« Comme j’ai pu l’observer dans plusieurs écoles autour de Pretoria en Afrique du Sud, écrit-elle, de nombreux élèves disent que l’apprentissage de leur langue maternelle, c’est-à-dire l’enseignement des et dans les « nouvelles » langues officielles, est la tâche la plus ardue pour eux. Les difficultés rencontrées par les élèves viennent du fait que les versions standard de ces langues ne leur sont pas familières, car la « version standard » est souvent dérivée d’un dialecte rural vieux d’une centaine d’années. Elle a donc de fortes chances d’être très différente des variantes actuellement parlées dans les zones urbaines. »

Dans le même temps, les codes linguistiques baptisés « Sheng » et « Engsh », principalement utilisés dans les villes kenyanes et tanzaniennes, ont fortement gagné en popularité dans les forums en ligne où, selon Mme Pasch, l’absence de standardisation « n’est pas ressentie ». L’impulsion visant à codifier une langue et à créer un moyen de communication standard doit être contrebalancée par une acceptation de l’évolution naturelle de cette langue.

Il existe maintenant de nombreuses initiatives encourageant le développement de systèmes orthographiques pour les langues africaines et leur utilisation en ligne, par exemple l’African Language Materials Archive et Bisharat, une initiative qui agit en faveur de l’autonomisation rurale et du savoir autochtone via l’utilisation des langues maternelles.

Comme le souligne le site Internet de Bisharat, l’utilisation de la langue la plus familière dans les TIC « … est un choix tellement évident qu’il passe pratiquement inaperçu dans le cas de la radio ou du téléphone ». La communication internationale est peut-être dominée par des langues internationales, mais, comme le montre le cas du berbère, Internet peut aussi être d’une grande aide pour les locuteurs de n’importe quelle langue.

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