Lorsque le Dr Mitslal Kifleyesus-Matschie est revenue en Éthiopie (son pays d’origine) en 2007, elle avait pour objectif d’œuvrer à l’éradication de la pauvreté dans les régions rurales en permettant aux agriculteurs de faire leur entrée sur le marché du XXIe siècle.
Il ne semblait pourtant pas simple de parvenir à combler un déficit de connaissances de plusieurs siècles. « Les critères du XXIe siècle sont impossibles à appliquer pour quelqu’un qui n’a pas suivi une certaine forme d’évolution depuis 300 ans », raconte le Dr Kifleyesus-Matschie au sujet de ses préoccupations initiales. Mais elle avait un plan. « Je me suis dit que le seul moyen d’y parvenir, c’était d’utiliser la technologie. Nous avions besoin d’un instrument et le meilleur instrument, c’était les TIC. »
Son entreprise Ecopia s’est donc emparée des TIC pour tenter de fournir à plus de 11 000 agriculteurs les connaissances et les compétences dont ils avaient besoin pour transformer et commercialiser des produits certifiés bio susceptibles d’être vendus au niveau local et à l’étranger. Aujourd’hui, 54 produits provenant d’agriculteurs bio éthiopiens sont commercialisés sous le label Ecopia, une évolution qui a eu un fort impact sur l’économie locale et qui a permis d’améliorer la rentabilité des méthodes d’agriculture écologique traditionnelles.
« Que ce soit en Éthiopie ou en Europe, quand vous produisez des choses comme de la confiture ou du jus de fruit sur votre exploitation, vous devez remplir des documents de contrôle qualité pour obtenir l’autorisation de vendre vos produits dans les supermarchés. Les agriculteurs éthiopiens n’en avaient pas le droit. Et la seule raison pour laquelle ils n’étaient pas autorisés à participer à la chaîne de valeur, c’est qu’ils ne pouvaient pas fournir les données et les informations nécessaires pour passer les inspections », explique le Dr Kifleyesus-Matschie.
« Ce que la technologie de l’information a fait, c’est nous fournir un instrument, un moyen extrêmement facile qui a permis de combler un fossé de 300 ans en cinq à dix ans seulement. Les agriculteurs peuvent dorénavant satisfaire aux exigences du bureau des normes. »
Grâce aux avancées technologiques et à la généralisation de la technologie, Ecopia a pu bâtir une vaste base de données qui contient des informations détaillées sur les ingrédients, les régions et les techniques de transformation et qui sert de marché électronique. Au départ, les agriculteurs transmettaient ces données à un centre d’appel, mais ils se sont rapidement mis à utiliser des ordinateurs et des appareils mobiles.
L’entreprise a également mis au point un système de traçabilité mobile et en ligne qui fournit aux consommateurs des codes produits leur permettant de tracer les composants jusqu’aux agriculteurs et de trouver des informations sur les matières premières, la date de récolte, le transport, les conditions de production et le statut de livraison des produits.
La formation est également devenue un des principaux facteurs de croissance de l’entreprise. « La formation est devenue très facile car nous avons un vidéoprojecteur et des images que tout le monde peut facilement comprendre », ajoute le Dr Kifleyesus-Matschie.
Ecopia forme les agriculteurs, les étudiants et les acteurs locaux, non seulement aux techniques de production bio permettant de satisfaire aux normes de qualité internationales, mais aussi à des compétences telles que le leadership et l’entreprenariat. L’objectif est de donner plus de pouvoir aux agriculteurs ruraux qui se trouvent à la « base de la pyramide » en leur fournissant les compétences et le savoir-faire dont ils ont besoin. L’entreprise a également adopté une approche de formation des formateurs qui contribue à la pérennité du programme.
« La partie la plus fascinante du développement d’Ecopia, c’est qu’après avoir transmis ces informations aux agriculteurs, nous avons constaté que ces derniers les utilisaient ensuite pour expliquer aux Éthiopiens parfaitement éduqués comment mener les inspections, note le Dr Kifleyesus-Matschie.
« Il fallait qu’un inspecteur teste la norme et certifie que les aliments y satisfaisaient. Ce sont donc nos agriculteurs qui ont dû former les autorités et le gouvernement éthiopiens et qui ont dû leur montrer qu’il était possible de créer des produits conformes aux règles et aux réglementations internationales. »
En raison de la nature visuelle des programmes de formation, le Dr Kifleyesus-Matschie explique que les postes d’enseignants sont souvent attribués à la communauté sourde de la région.
« Lorsqu’une femme sourde anime une formation, tout ce dont elle a besoin c’est d’un vidéoprojecteur et d’un appareil mobile. Il lui arrive de faire appel à un traducteur, mais, pour répondre aux questions, il lui suffit de taper la réponse et de la montrer sur un appareil mobile. Ce système est extrêmement valorisant pour les personnes concernées, particulièrement les sourds qui évoluent souvent en dehors du système et qui ont rarement la possibilité de gagner leur vie. »
L’objectif d’Ecopia est d’ouvrir des portes à deux millions d’agriculteurs éthiopiens. D’après le Dr Kifleyesus-Matschie, ce sont les prochaines mesures prévues par l’entreprise qui auront le plus d’impact. Elle prévoit, en effet, de mettre au point un progiciel de gestion intégré (ERP) en open source, c’est-à-dire une plate-forme qui permettra aux agriculteurs de communiquer facilement et d’accéder aux informations sur les marchés.
Auparavant, les agriculteurs dépendaient du Dr Kifleyesus-Matschie pour savoir si les supermarchés avaient augmenté leurs marges bénéficiaires. Ils pourront dorénavant accéder facilement eux-mêmes à ce genre d’information, et surtout, gratuitement.
« Mon objectif, dorénavant, est de tout mettre en open source. Ecopia est prêt à donner les informations nécessaires pour ce système et les agriculteurs auront le droit de vérifier – c’est une première en Afrique. »
Le Dr Kifleyesus-Matschie est également en pourparlers avec Airbus car elle souhaiterait utiliser leur technologie satellitaire pour assurer le suivi des livraisons. « En tant qu’entreprise environnementale, nous souhaitons faire partie du projet d’économie verte 2023 de l’Éthiopie, une économie vraiment verte. Nous voulons donc minimiser notre empreinte carbone. Sachant que le transport est un des plus gros contributeurs des émissions de carbone, nous avons besoin d’un système de suivi efficace pour pouvoir mesurer notre empreinte et le seul moyen d’y parvenir est d’utiliser les satellites, explique-t-elle.
Airbus dit qu’il dispose d’un accès et d’une base de données pour ces informations, ce qui rend cette application possible pour les agriculteurs. Si nous y parvenons, nous serons arrivés à nos fins, la boucle sera bouclée. La révolution des TIC aura bien eu lieu. »
Photo par Ryan Kilpatrick