Gaston Donnat Bappa est un chef traditionnel de la région de Bambimbi au Cameroun. Sa présence et ses interventions ont été des plus remarquées pendant eLearning Africa 2011. Vêtu d’habits traditionnels colorés, ce consultant senior en matière de technologies de l’information, titulaire de diplômes en ingénierie de l’information, en banque et en finance, a présenté un exposé sur l’utilisation des TIC pour soutenir les fermiers en zone rurale. Dans l’interview qui suit, Gaston Donnat Bappa parle de ce qui lui tient à cœur : comment préserver la culture traditionnelle Africaine quand elle est menacée par les styles de vie modernes. Il explique également comment il met à profit les technologies de l’information pour ses atteindre objectifs personnels : préserver l’héritage culturel et le savoir ancestral de sa communauté et de la tribu Basaa.
eLA : A votre avis, pourquoi est-il si important de préserver les cultures locales et de permettre aux gens de connaître leurs racines ?
Chief Gaston Donnat Bappa:
Nous devons préserver notre culture par tous les moyens si nous voulons que les générations actuelles et futures restent debout dans un monde qui se globalise et qui écrase tous ceux qui ne s’analysent pas en profondeur pour puiser au plus profond de leur être de quoi se construire tout au fil de leur vie, en intégrant ce qu’ils apprennent où qu’ils soient dans le monde.
Laissez-moi exprimer ma motivation profonde à travailler à la préservation de notre culture traditionnelle. Cette culture était en train de s’évanouir en laissant démunis tous les africains qui vivent éparpillés dans des villes et des pays du monde, ces endroits où la plupart d’entre eux sont nés. Sans les repères que pourrait leur apporter cette culture, ils essaient de construire leur vie uniquement en s’appuyant sur les modèles des lieux où ils finissent par s’enraciner, sans réaliser que leurs fondations originelles sont construites selon une architecture différente. Ils ne doivent pourtant pas perdre leurs origines de vue et faire des choix judicieux, pour réaliser leur plein potentiel de développement.
Ces fondations comprennent des traditions ancestrales, l’organisation inclusive de la société africaine traditionnelle, source de joie de vivre et d’un grand respect de l’humanité. L’Afrique est riche d’une myriade de langages, chacun portant les savoirs millénaires des hommes dont nous n’avons même pas encore réussi à faire le tour.
Elle est riche de ses peuples indigènes et originels, de sa culture orale, de ses histoires et de ses conteurs, de ses griots et de ses proverbes, de ses mythes, ses légendes, ses totems, de ses sorciers et de ses patriarches, de son folklore, de ses connections avec ceux qui ne sont plus, de sa pharmacopée dont l’efficacité commence à être reconnue, de son art et de son artisanat qui sont vendus partout etc… Tout autant de trésors qu’il faut sauver.
Désormais, les formes traditionnelles africaines de communication, principalement la transmission orale, les tam tam, les messager humains ou les signaux de fumée sont appelés à disparaître pour être remplacés pas des media modernes tels que l’écrit, la radio, le téléphone, la télévision, l’ordinateur et par extension, Internet. L’Afrique est bombardée tous les jours d’informations et de manières de vivre qui n’ont rien à voir avec sa culture. Pour autant, ces nouvelles technologies de la communication et de l’information peuvent être en développés en toute cohérence avec les modes anciens de transmission et de sauvegarde de l’information. En effet, les media numériques peuvent remplacer très efficacement et décupler la mémoire humaine en offrant un potentiel de restitution sans précédent.
eLA: Pouvez-vous nous donner brefs exemples qui illustrent comment, en tant que chef traditionnel, vous employez les TIC pour préserver la culture de votre communauté au Cameroun, dans une zone à forte densité forestière.
Chief Gaston Donnat Bappa:
Il faut vulgariser et populariser les nouveaux média, notamment la radio, l’ordinateur et Internet (dont les coûts de revient sont en définitive les moins élevés, et l’efficacité inégalée), dans les villages, qui sont encore les lieux où le savoir ancestral est le plus vivant. Les populations rurales sauront en tirer profit, pour assurer la survie et la renaissance de cette culture.
Pour cela, nous avons un projet de radio rurale dans notre zone, et nous avons commencé à créer du contenu audio et vidéo sur tous les aspects qui concernent la vie dans nos villages. Le contenu est la connaissance que nous voulons préserver.
La constitution des bibliothèques rurales dans certains des nombreux lieux d’expression et de conservation de la tradition que sont les chefferies, les cases de palabres, les habitats des patriarches, les musées, qui seront progressivement dotés d’ordinateurs, que l’on connectera plus tard aux centres régionaux et nationaux, et au monde. Ces bibliothèques rurales particulières pourront alors remplir les missions de service public qui sont dévolues aux bibliothèques normales et qui consistent à élaborer et préserver des contenus divers et variés et à offrir un accès équitable, ouvert et peu coûteux, voire gratuit, à ces contenus, y compris sous forme numérique, pour faciliter l’enseignement formel et informel, la recherche et l’innovation.
L’aura de notre tradition que je porte et transporte en moi, et que je montre et démontre partout où l’occasion m’est donnée de le faire, est l’un des instruments les plus puissants et efficaces que je puisse avoir pour la préservation de celle-ci. Grâce à mes tenues traditionnelles, par exemple à eLearning Africa, tous les participants me connaissent. Ce ne serait nullement le cas si je m’habillais en costume. Beaucoup de participants que je ne connais pas au départ m’interpellent dans les salles et les couloirs pour prendre une photo souvenir, ou pour poser des questions sur ma tenue et mes instruments traditionnels. Tous les présentateurs lors d’une session thématique, européens et africains, ont exigé que je leur apporte la bénédiction des ancêtres pour cette session, des jeunes africains vivant en Europe m’ont abordé pour me demander de correspondre avec eux, parce qu’ils sentent la nécessité de connaître leurs racines dans la tradition africaine,…etc.
eLA : Y-a t-il l’électricité et l’accès à Internet ?
Chief Gaston Donnat Bappa:
Je suis le dirigeant d’une association qui compte 42 chefs, qui représentent les 42 villages de notre zone, appelée Babimbi II. La population s’élève à environ 5000 personnes. Mon propre village s’appelle Ndjock-Nkong et il y a environ 200 habitants. Notre travail couvre toute la région appelée Babimbi qui couvre par extension toute la tribu Basaa qui se trouve qu sud et sur le littoral du Cameroun. L’électricité n’est pas encore accessible dans de nombreux villages, y compris le mien. Mais l’administration publique a commencé à l’installer. Certaines personnes utilisent des générateurs domestiques d’énergie. L’accès à Internet n’est pas encore disponible.
eLA : Quel était votre principal message lors de votre présentation intitulée “Contenu numérique pour la formation agricole des populations rurales en langues locales” pendant eLearning Africa ?
Chief Gaston Donnat Bappa:
Mon message dans cette présentation était que malgré l’absence d’électricité et d’Internet, on peut quand même commencer à utiliser efficacement le elearning dans nos villages, en développant les contenus numériques appropriés, en langue locale. Ces contenus seront hébergés grâce à une infrastructure TIC légère – et avec des sources d’ énergie autonomes (énergie solaire intégrée par exemple)- constituée de Laptop de type Netbook sur les réseaux sans fils, ou alors en exploitant le téléphone mobile. Ceci permet de palier l’absence de moniteurs agricole, et de doubler au moins la production des paysans, à travail égal.
eLA : Comment avez-vous personnellement bénéficié de la conférence. Avez-vous engagé de nouvelles collaborations ?
Chief Gaston Donnat Bappa:
Les bénéfices que j’ai obtenus à la conférence sont très nombreux. J’ai rencontré beaucoup de personnes intéressées par le monde rural et par la tradition Africaine, avec lesquelles j’ai eu de fructueux échanges,chacun apportant des connaissances complémentaires aux autres. Ce qui est très important, c’est que nous nous sommes orientés vers la création d’un groupe international de personnes qui travaillent pour intégrer l’usage des TIC dans ces secteurs qui au départ ne semblent pas s’en accommoder.
La plupart des exposés que j’ai eu à suivre, notamment dans les sessions plénières, ont continué de me convaincre que je devais continuer sans faiblir, dans mon domaine de prédilection qui est le monde rural et la tradition. Les exposés qui ont prôné et intégré la prise en compte de nos racines africaines pures dans les stratégies de développement, ont d’ailleurs été les plus appréciés du public.
J’ai particulièrement apprécié de rencontrer un Zambien m’a décrit l’organisation et la force de la chefferie traditionnelle dans la constitution zambienne. C’est un modèle intéressant pour le développement du monde rural. Il est disposé à travailler avec moi dans ce cadre.
Je suis également spécialisé dans la formation professionnelle à tous les niveaux. Dans ce domaine, ma participation à la journée UNESCO-UNEVOC a été d’un grand intérêt. J’y ai de plus rencontré d’autres organismes, tels que ICDL Africa qui représente en Afrique l’organisme Européen qui développe les formations et les certifications bureautiques, ECDL (European Computer Driving Licence), dont nous assurons la représentation au Cameroun… Et bien d’autres encore.
C’étaient des moments inoubliables que j’ai vécu pendant la 7ème Conférence d’eLearning Africa à Cotonou. Des échanges enrichissantes et bien d’autres découvertes en matière de TIC.
C’est une aventure à renouveler.
cette initiative du chef est très louable. contrairement à ce que beaucoup de penseurs ont développé s’agissant des effets néfastes des tic sur la tradition africaine (disparition de la culture africaine et de la tradition africaine, Sa Majesté Bappa encourage les africains à exploiter les opportunités qu’offrent les tic pour mieux conserver notre tradition. (étant donné que les tic constituent une force qui s’impose que l’on soit pour ou contre, alors autant en profiter pour notre propre développement