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Rêves sans frontières: Un modèle durable de changement social

Kantharis

Pour le jeune Sahr Yillia, ce fut un terrible choc que d’avoir été contraint de boire du sang humain et de voir sa petite sœur violée et abattue sous ses yeux pendant la terrible guerre civile qui a ébranlé la Sierra Leone. Le traumatisme a été tel qu’il en a perdu la vue. Aujourd’hui, malgré sa cécité, il est à la tête de Child Rescue Mission, un organisme à but non lucratif sierra-léonais qui secourt les enfants des rues (parmi lesquels un bon nombre d’enfants soldats) et réunit les familles séparées par les atrocités de la guerre. L’histoire de celui qui fait aujourd’hui figure de repère est indissociable de celle de Kanthari, une usine à rêves un peu différente des autres…

Par Prue Goredema

L’Institut International Kanthari pour les Entrepreneurs et Innovateurs sociaux est niché au milieu des vallées vertes et luxuriantes du Kerala, dans le sud de l’Inde ; une région où les pluies équatoriales et les températures toujours chaudes favorisent la croissance de l’un des trésors incomparables de la cuisine indienne : le piment rouge piquant de Kanthari. Sa force a inspiré à l’Institut Kanthari son nom et sa philosophie : un programme innovant dont l’objectif est de métamorphoser des visionnaires du monde entier en leaders efficaces.

L’Institut Kanthari invite aujourd’hui les candidats à sa quatrième session, un cursus de sept mois qui débutera en juillet 2012. Des bourses d’études peuvent être accordées à celles et ceux qui en ont besoin. Si aucun bagage éducatif n’est requis, les candidats doivent toutefois disposer d’un niveau d’anglais intermédiaire à l’écrit et à l’oral, être âgés d’au moins vingt-deux ans et être déjà engagés dans la réalisation d’un rêve spécifique de changement social. Depuis 2008, les fondateurs de l’Institut, Paul Kronenberg et Sabriye Tenberken, invitent, pour quelques semaines ou quelques mois, des intervenants et des formateurs réputés (les « catalyseurs ») à venir former et suivre plusieurs dizaines de participants (les « kantharis ») sur différentes compétences (expression en public, communication interpersonnelle ou diversité culturelle), dans les domaines les plus variés (gestion, levée de fonds, relations publiques ou encore comptabilité). Depuis que le rôle capital de l’intégration des TIC dans l’enseignement et la formation a été mis en évidence par les avancées positives réalisées dans le domaine des TIC pour le développement (ICT4D), les animateurs disposant d’une expérience dans le domaine du e-learning apportent des contributions inestimables. Quoi qu’il en coûte de transformer un « rêveur » en véritable entrepreneur social, l’Institut entend se montrer à la hauteur du défi.

Parmi les kantharis passés entre les mains de l’Institut, Paul Kronenberg cite avec une admiration et une fierté toute particulière le cas de Sahr Yillia. L’organisme Child Rescue Mission, que ce dernier a fondé après avoir obtenu son diplôme à l’Institut Kanthari, se concentre sur le district de Kailahun, en Sierra Leone. Sur les près de 1 300 m² de terrain qu’il a sécurisés, Sahr Yillia travaille à la construction d’un « village de secours » et à son extension pour venir également en aide aux enfants victimes d’exploitation sexuelle. « Nous sommes heureux d’avoir pu aider à la formation de ces kantharis qui sont passés chez nous ; en réalité, ce sont des personnes qui avaient déjà en elles un désir ardent de réaliser quelque chose d’utile et de nécessaire en faveur de la justice sociale. Elles savaient que quelque chose de petit et de piquant peut faire toute la différence. Elles portaient déjà en elles le kanthari », explique Paul Kronenberg.

« Tout sourires, de gauche à droite, Paul Kronenberg et Sabriye Tenberken, fondateurs de Kanthari ; Judith Jandia, diplômée Kanthari en 2010 et Binoy Vishwam, Ministre des Forêts de l’État du Kerala »

Ce dernier a expliqué au service presse d’eLearning Africa que, bien qu’il reçoive des demandes des quatre coins du monde, l’Institut tente de concentrer prioritairement ses efforts sur les personnes vivant dans les pays en voie de développement, qui ne bénéficient pas chez elles d’un accès facile à une formation. « Nous acceptons des personnes qui ont dû faire face à l’adversité dans leur propre pays et nous leur fournissons les compétences et les contacts dont elles ont besoin pour engager un changement social, dans leur pays d’origine, une fois la formation terminée, ou bien ailleurs dans le monde si elles le souhaitent. »

Cette confiance dans la capacité des kantharis à devenir des précurseurs, Paul Kronenberg la tire de son expérience de cofondateur de « Braille Without Borders » (Braille sans frontières) au Tibet. Ce projet est une idée de son associée, Sabriye Tenberken, devenue aveugle à l’âge de douze ans à la suite d’une maladie de la rétine. Au milieu des années 1990, alors qu’elle suit des cours à l’Institut d’Etudes sur l’Asie centrale de l’Université de Bonn, en Allemagne, Sabriye Tenberken constate que la langue tibétaine n’a jamais été translitérée en braille ; elle met donc au point son propre système de translitération afin de pourvoir poursuivre son cursus universitaire. Elle a alors l’idée d’adapter ce système afin d’en faire bénéficier les aveugles du Tibet. En 1997, à 26 ans, elle se rend dans le pays pour proposer son alphabet aux 30 000 aveugles tibétains. C’est ainsi qu’elle crée, avec Paul Kronenberg, l’école Braille Without Borders, qui en dépit de quelques difficultés initiales pour s’assurer les aides des donateurs, est parvenue à s’imposer.

« Aujourd’hui, Braille Without Borders est pilotée par la première génération de diplômés », explique Paul Kronenberg. « Nous nous y rendons ponctuellement, mais ce qu’il ressort de tout cela c’est qu’au lieu de les ignorer et de les isoler, le fait de donner aux gens les compétences requises leur permet ensuite de se débrouiller tout seuls. » L’école fournit davantage qu’une formation théorique ; elle dispose en effet d’une ferme de formation professionnelle, où les étudiants aveugles sont formés à différents métiers et compétences. Les revenus générés par les ventes de produits de la ferme, tels que fromages, pain ou légumes, couvrent une partie des frais. Le reste du financement dépend encore des donations.

Une approche similaire a été adoptée chez Kanthari pour donner aux personnes telles que Sahr Yillia la capacité de réaliser leurs propres projets de développement durable. « Tout comme un simple piment kanthari suffit à parfumer tout un ragoût », explique Paul Kronenberg, « une personne motivée peut faire progresser le monde ». Les personnes qui souhaitent prendre part au programme en tant que kanthari, catalyseur, tuteur ou bienfaiteur, peuvent consulter le site web de l’Institut Kanthari.

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