Aperçus de la conférence

Portrait : Efosa Ojomo

Efosa Ojomo
Efosa Ojomo

D’origine nigériane, Efosa Ojomo, qui sera l’un des principaux intervenants à la conférence eLearning Africa de cette année, est de plus en plus considéré comme l’un des plus grands penseurs africains en matière d’innovation. Cet ancien rédacteur du magazine Harvard Business Review a récemment publié conjointement avec Clayton Christensen et Karen Dillon, tous deux professeurs à la Harvard Business School, un ouvrage intitulé « Le paradoxe de la prospérité », qui explore la façon dont « l’innovation juste » permet d’aider les responsables politiques et les entrepreneurs à sortir les pays de la pauvreté et à leur apporter la prospérité. Les solutions actuelles, émanant parfois d’intentions très louables, n’ont le plus souvent contribué selon lui qu’à aggraver la situation.

E. Ojomo se sent passionnément et personnellement investi de la mission d’enrayer la pauvreté en Afrique. Il a quitté le Nigéria pour suivre des études d’ingénieur informatique à l’université de Vanderbilt aux États-Unis. Puis, après avoir travaillé un temps dans l’ingénierie et le développement commercial pour « National Instruments », il créa « Poverty Stops Here », une organisation à but non lucratif qui facilite l’accès des communautés défavorisées d’Afrique aux services de santé, à l’eau potable, à l’éducation et à la microfinance. Depuis sa création en 2009, l’organisation a contribué pour plus de 200 000 $ au soutien des initiatives d’aide à la santé et à l’éducation dans cinq communautés différentes. Elle a également mis à disposition du circuit de la microfinance plus de 90 000 $ en prêts afin de soutenir les petites entreprises.

Ce que « Poverty Stops Here » avait réussi à accomplir en très peu de temps était tout à fait remarquable. Mais pour E. Ojomo, ce n’était pas suffisant. Le fait d’avoir lui-même grandi dans une famille pauvre du Nigéria lui a donné envie d’aller plus loin et il a par ailleurs constaté que de nombreux organismes caritatifs et organisations à but non lucratif se retrouvaient souvent bien incapables d’apporter de véritables améliorations à tous les niveaux dans la vie des gens. Il a compris que pour que les populations prennent leur destin en main, il fallait leur permettre de trouver elles-mêmes des solutions novatrices aux problèmes auxquels elles étaient confrontées. Et pour lui, la clé de l’innovation, c’est l’éducation.

« Je pense que l’objectif de l’éducation, que ce soit à une époque de mutation technologique rapide ou lente, doit rester quasiment immuable ». « Le but de l’éducation doit être de développer le capital humain des citoyens vivant dans un endroit donné afin d’améliorer leur aptitude à résoudre les problèmes propres à leur région. C’est une notion très importante qui implique dans la pratique que même si la façon d’enseigner devait changer, l’objectif quant à lui reste le même. Le regretté professeur du MIT, Alice Amsden, a écrit un jour : « À l’école, même avec des classes de petite taille et une qualité d’enseignement élevée, l’apport de l’éducation ne pourrait mener qu’à la fuite des cerveaux ou bien à la misère si les élèves en sortant ne devaient pas trouver d’emploi. » Ce qui signifie non pas que l’éducation a pour seule vocation de préparer la population à la vie professionnelle mais plutôt que si elle ne prépare pas la majeure partie de la population à une activité en rapport avec une économie donnée, sa portée sera considérablement limitée. »

Alors qu’il réfléchissait à la manière dont il pouvait étendre ses moyens de lutter efficacement contre la pauvreté, E. Ojomo prit conscience que pour pouvoir effectuer de réelles avancées, il devait franchir un nouveau cap dans sa formation et retourner sur les bancs de l’école. Il posa ainsi sa candidature à la Harvard Business School et fut retenu. C’est à Harvard qu’il rencontra son mentor et co-auteur, le professeur Clayton Christensen, fondateur de l’institut Christensen pour l’innovation de rupture, dans lequel il exerce la fonction de chercheur principal. Sa position lui procure une plateforme à partir de laquelle il peut promouvoir ses théories sur le rôle prépondérant de l’innovation dans le changement de la nature même du développement, et sur sa faculté à générer de la prospérité au sein des communautés du monde les plus démunies et laissées pour compte. 

L’innovation pourrait bien être le moteur de la prospérité et pourtant, on reste en droit de s’interroger. À l’instar de l’entreprenariat, elle n’est pas accessible à tous. Nous ne sommes pas tous venus au monde avec un sens inné de l’innovation. Dans ce cas, est-ce que l’innovation peut être enseignée ?

Sans hésiter, E. Ojomo répond « Oui! ». « Durant des siècles et jusqu’à la révolution industrielle en Angleterre, la population mondiale vivait avec moins de trois dollars par jour, ce que le célèbre économiste Deirdre McCloskey documente très bien. Puis vint la révolution, d’abord en Angleterre, puis en Europe et enfin aux États-Unis. À présent, nous assistons à une révolution technologique en Asie et dans d’autres parties du monde. Les habitants de ces régions ne sont pas venus au monde avec la potion magique de l’innovation. Ils l’ont tout simplement développée. On apprend à innover en mettant en corrélation des activités novatrices et les progrès vers lesquels nous tendons dans nos vies, en valorisant l’innovation comme le meilleur moyen de générer de la prospérité. En d’autres termes, d’accéder à la réussite économique, sociale et politique. Lorsque ce déclic se produit, notre faculté d’innovation se libère d’une manière toute aussi surprenante qu’inspirante. »

E. Ojomo n’envisage pas l’innovation comme un concept mystérieux et ésotérique. Le type d’innovation qui peut radicalement transformer une économie ou une communauté est ce que lui et Clayton Christensen définissent comme une « innovation créatrice de marché ». « Le paradoxe de la prospérité » cite en exemple la Ford T ou encore les nouilles instantanées de Tolaram qui ont permis à des millions de Nigérians de se nourrir facilement et à moindre coût.

De telles trouvailles nous apportent les principaux arguments censés faire évoluer notre approche du développement. Les pays devraient utiliser l’innovation pour « puiser » dans leurs propres ressources plutôt que de s’en remettre aux ONG ou aux gouvernements étrangers pour qu’ils en « injectent ». E. Ojomo estime que les pays africains à revenus faibles et intermédiaires sont tout à fait capables d’agir mais qu’ils doivent tout d’abord cerner la nature de l’innovation à apporter et ses effets sur les marchés.

Les entreprises et les pays africains doivent absolument comprendre qu’il existe, du point de vue du développement économique, différents types d’innovations ayant des caractéristiques distinctes. Certaines augmentent la productivité dans un secteur industriel donné, d’autres créent de nouveaux marchés tandis que d’autres encore perfectionnent les produits déjà existants.

Chaque type d’innovation est indispensable à un développement économique pérenne. Toutefois, les innovations créatrices de marché sont souvent les piliers sur lesquels reposent la plupart des économies florissantes. Ces innovations transforment des produits complexes et coûteux en produits simples et abordables, les rendant ainsi accessibles au plus grand nombre et à une tranche de la société qui jusque là n’était pas en mesure d’accéder aux produits existants sur le marché. Les nouveaux marchés nés de ces innovations introduisent à leur tour d’autres composantes indispensables à la prospérité de l’économie. Prenons en exemple tout ce que l’industrie automobile à introduit en Amérique : voitures, acier, routes, lois et règlementations nouvelles, banlieues etc. Bien entendu, la plupart des nouveaux marchés n’auront pas vocation à devenir aussi prolifique que le marché de l’automobile, mais la tendance est la même. Nos recherches concernant l’impact des différents types d’innovation sur les économies ont démontré que les effets d’une innovation créatrice de marché sur le développement économique dépassent de bien loin ceux de tous les autres types d’innovation.

Dans l’équation du développement économique, les innovations créatrices de marché précèdent généralement la mise en place d’institutions solides et d’infrastructures pérennes. » 

E. Ojomo ne souhaite pas s’avancer sur l’avenir de l’Afrique et montre des réticences à en brosser une image radieuse et sereine. L’Afrique est confrontée à des choix et des défis difficiles. Les décisions qu’elle doit prendre sont délicates mais les épreuves qu’elle rencontre, représentent également une chance à saisir.

« Je ne peux pas prédire l’avenir de l’Afrique ni le chemin qu’elle prendra, bon comme mauvais. En substance, les plus grandes difficultés à surmonter pour l’Afrique s’accompagnent également des plus grandes opportunités à saisir. Pour commencer, le plus grand problème à affronter est celui de la jeunesse et du grave sous-développement qui touche cette région du monde. En d’autres termes, les organisations pourront engranger de vrais rendements, le jour ou des choses aussi élémentaires que la nourriture, le mobilier, le logement, les vêtements, la santé etc. seront accessibles facilement et à moindre coût au plus grand nombre. De plus, les procédés permettant de rendre toutes ces choses faciles d’accès et à bas prix génèreront d’immenses possibilités de création d’emplois pour des millions de personnes. Force est de constater que la révolution des télécommunications mobiles sur le continent a créé une valeur économique de plusieurs milliards de dollars et représente aujourd’hui près de quatre millions d’emplois. Il existe de nombreuses opportunités semblables à celles-ci en Afrique. »

Efosa Ojomo est un grand penseur. C’est un homme bien décidé à mettre ses formidables talents au service d’un changement positif. Il dispose à la fois d’une vision claire et de convictions personnelles très fortes.

« La vie est incroyablement difficile pour la plupart d’entre nous » affirme-t-il. « Plus je suis aimable envers une personne, plus cette personne a de chance de se montrer à son tour aimable envers une autre. 

Mes valeurs sont largement sous-tendues par ma foi. Elle m’ordonne d’aimer tout le monde, surtout mes ennemis. Je pense que cela me donne un cadre et me fait toujours réfléchir à la manière dont mes pensées et mes actions peuvent affecter les autres.

L’Afrique étant confrontée à de grands défis, mais aussi à une opportunité sans précédent de se transformer et de parvenir à une prospérité durable pour l’ensemble du continent, il est raisonnable de croire que nous entendrons de plus en plus parler d’Efosa Ojomo à l’avenir.

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