L’épidémie actuelle d’Ébola en Afrique de l’Ouest est la pire jamais enregistrée à ce jour, avec près de 5 420 décès comptabilisés en Guinée, au Libéria et au Sierra Leone. Alors que la lutte contre la maladie s’accentue au niveau international, l’attention se tourne vers l’utilisation qui pourrait être faite des technologies mobiles pour améliorer la sensibilisation, le diagnostic et la prévention de la maladie.
Par Grace Benton
Les technologies utilisées dans le cadre de la lutte contre Ébola apportent chacune des bénéfices différents. Par exemple, la société de développement technologique Code Innovation a créé une application de sensibilisation qui couvre de multiples langues et dialectes : jola, krio (Sierra Leone), anglais libérien, swahili et wolof ; l’entreprise eHealth & Information Systems Nigeria a mis à la disposition des travailleurs de santé une application qui permet de décrire les symptômes. L’ONG britannique Radar, quant à elle, met l’accent non pas sur la transmission d’informations aux personnes concernées mais sur la réception et le partage d’informations provenant de communautés locales du Sierra Leone.
Ce qui est intéressant dans l’approche adoptée par Radar, c’est la manière dont elle aide des membres de toutes les communautés, même les plus exclues, en les transformant en journalistes citoyens capables de transmettre des informations par SMS et donc d’influencer les politiques.
Depuis deux ans, RADAR travaille auprès des habitants du Sierra Leone en organisant des programmes de formation de deux à trois jours axés sur des compétences journalistiques de base telles que la collecte d’informations auprès de la communauté et la vérification de ces informations par recoupement. La formation théorique est suivie d’un système de coaching par SMS ou par téléphone qui permet aux participants de recevoir des commentaires sur les informations fournies et sur leur style d’écriture ; ces commentaires peuvent également inclure des suggestions d’ajout de sources ou d’informations complémentaires pour consolider le récit.
Contrairement à d’autres initiatives conçues pour les Smartphones, le projet de Radar est basé sur l’utilisation de SMS car il cible des groupes marginalisés qui ont un faible niveau d’éducation et n’ont pas toujours accès à Internet. La plupart, si ce n’est l’intégralité, des participants aux formations sont déjà capables d’envoyer des SMS. « Ce que nous essayons de faire, c’est de partir d’une compétence existante et de l’adapter de manière à permettre la transmission d’informations qui ne seraient, autrement, pas transmises », explique Corin Faife, directeur de la division Digital Platforms chez Radar.
Lorsqu’Ébola est apparu, les journalistes ainsi formés ont ainsi commencé à fournir des informations provenant de régions isolées du Sierra Leone, régions auxquelles les grands médias ne pouvaient pas accéder en raison des quarantaines, des couvre-feux et des restrictions de circulation mis en place. Les informations ainsi obtenues ont ainsi été reprises par BBC World Service, Channel 4 et The Guardian. Elles expliquent ce que peut être la vie quotidienne des communautés touchées par Ébola au Sierra Leone, notamment en termes de pénuries alimentaires ou des difficultés auxquelles les handicapés à mobilité réduite sont confrontés. L’ONG insiste sur le fait qu’elle n’a pas pour seul objectif d’améliorer la sensibilisation, mais aussi de renforcer le pouvoir des participants, au Sierra Leone et ailleurs.
Corin Faife explique que les journalistes lui racontent souvent ce que la participation à ce projet signifie pour eux. « Nous travaillons avec de nombreuses personnes handicapées […]. Bon nombre d’entre elles nous disent : “c’est vraiment très utile pour moi, cela m’a permis d’asseoir ma place au sein de la communauté, je suis ravi de pouvoir montrer que je suis capable de faire ça et que mon handicap n’affecte en rien ma capacité à être journaliste” », raconte-t-il.
La capacité de Radar à atteindre ce double objectif est limitée par la taille réduite de l’organisation, même si elle espère pouvoir un jour étendre son action aux pays non anglophones et, pourquoi pas, travailler avec les médias locaux. Dans le cas d’Ébola, la force de l’organisation est venue de son réseau préexistant, même si Corin Faife admet qu’il s’agit d’« un coup de chance ».
L’organisation est toutefois optimiste quant aux possibilités de développement de son modèle basé sur les SMS. « Notre action consiste à travailler avec des communautés marginalisées et dans des situations où l’accès aux technologies de communication est difficile […]. Mais, même au regard de ces limites, nos possibilités d’action sont innombrables. Je suis certain qu’au cours des deux années à venir, nous entreprendrons des projets dont nous n’avons pas encore la moindre idée », ajoute Corin Faife.