Bien des clichés ont été entendus : nous vivons ainsi dans un village planétaire interconnecté et dans lequel il est tout aussi simple d’interagir avec un inconnu vivant à l’autre bout du monde que de parler à son voisin de palier. Dans les faits, et dans certains cas, il peut même être plus facile d’atteindre cet inconnu situé à des milliers de kilomètres, car l’image optimiste de notre planète « sans frontières » et hyper-connectée ne reflète que partiellement la réalité.
Par Alicia Mitchell
L’Afrique connaît un important décalage entre la réalité des communications et collaborations globales instantanées, facilitées par les TIC, et les restrictions imposées à la circulation des personnes, des biens et des savoirs, restrictions entretenues par un strict contrôle des frontières nationales. Ce décalage est mis en évidence par le modèle inégalitaire suivant ces restrictions, bloquant souvent la coopération intracontinentale tout en permettant des coopérations avec des pays plus éloignés. Un symptôme de cette situation est révélé dans le rapport annuel du développement économique en Afrique (DEA) : seuls 11% des échanges commerciaux du continent sont réalisés entre pays africains (en Asie, au contraire, 50% du commerce total est intra-régional).
Tandis que les affaires, l’apprentissage et les prises de contact se font de plus en plus souvent en ligne, le contact personnel, dans certaines situations, est incontournable. Les conférences panafricaines telles que eLearning Africa permettent ainsi aux personnes de se rassembler dans le cadre d’une plateforme dédiée à l’échange de connaissances et d’expériences, et servant également de lieu de réunion pour les investisseurs et entreprises africaines. Cependant, ce potentiel ne pourra rester que sous-exploité tant que toutes les parties prenantes ne pourront y participer sans entraves.
Les anecdotes révélant que les appels d’offre entre les nations africaines sont bien plus coûteux que ceux entre l’Afrique et l’Europe, mettent en évidence un certaine protectionniste bureaucratique qui met des bâtons dans les roues de la coopération continentale. Les marchés non concurrentiels et une régulation désordonnée provoquent des tarifications incroyablement confuses et onéreuses, qu’il s’agisse des simples appels téléphoniques ou du transport aérien.
Se confiant dernièrement à l’International Business Times, l’homme d’affaires ghanéen et propriétaire de SOFTtribe, Herman Chinery-Hessey, a affirmé que les divers problèmes contrariant le transport aérien sur le continent empêchent le bon déroulement des affaires en Afrique: « Il est parfaitement possible de ne pas pouvoir conclure de contrats internationaux à cause des vols inabordables, des retards systématiques et du service à la clientèle qui est bien souvent tout à fait déplorable »
Les voyages internationaux en Afrique sont terriblement délicats. Outre les compagnies aériennes inefficaces et présentant de graves lacunes en matière de sécurité, l’International Business Times précise que cette situation est également aggravée par l’absence notable de liaisons directes entre les grandes villes africaines, ce qui oblige les voyageurs à organiser des correspondances longues et coûteuses. Ajoutez à ces écueils la lourdeur dans les processus d’obtention de visa et les frais afférents, et vous pourrez sans peine imaginer les difficultés rencontrées dans les coopérations transfrontalières. Toutefois, tous ne sont pas logés à la même enseigne.
Mentionnant les inégalités face aux restrictions bureaucratiques imposées aux ressortissants africains, dans le cadre des voyages d’affaires, le professeur Said Adejumobi, Chef de la Section de l’Administration Publique et coordinateur du Rapport sur la bonne gouvernance en Afrique (RGA) à l’UNECA (Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique ), s’est lamenté devant une situation si « triste » : « En réalité, il est plus facile pour les ressortissants des pays occidentaux, qui bénéficient d’exemption de visa, de pénétrer dans les pays africains, que pour les Africains eux-mêmes. Malheureusement, les Africains sont la plupart du temps confrontés aux pires difficultés pour obtenir un visa afin d’entrer dans un autre pays africain ».
Un pays brave toutefois cette tendance : début 2013, le Rwanda a commencé à délivrer des visas à tous les citoyens africains dès leur arrivée sur le territoire ; une nouvelle stratégie qui a provoqué un vaste débat.
Felix Mutati, leader de l’opposition parlementaire et ancien Ministre zambien du Commerce, estime qu’aucune demande de levée des restrictions n’existe. Citant les faibles statistiques commerciales intra-africaines, M. Mutati affirme : « Nous ne faisons pas de commerce entre nous. Et donc ? Pourquoi devrions-nous changer les règles ? ». Toutefois et en dépit du rapport plus haut cité mentionnant les fameux 11%, le DEA lui-même prévient que « le commerce informel et prospère suggère que les échanges intra-africains ne sont pas aussi faibles que ce que les statistiques officielles pourraient laisser croire ».
A l’inverse, Kofi Asamoah-Siaw, secrétaire national du Parti populaire progressiste du Ghana, prédit que la libre circulation des personnes permettrait de « libérer un certain type d’énergie qui nous poussera à obtenir l’indépendance économique à laquelle nous aspirons ». Contrairement à Mutati, Asamoah-Siaw ne doute pas, «Ceci peut-être réalisé en moins d’une décennie et devrait être mis en œuvre au plus vite ».
Ce point de vue fait écho à l’appel du mouvement Open Borders (frontières ouvertes), courant venant des Etats-Unis. Dans un entretien accordé à The Atlantic, Bryan Caplan, économiste, professeur à l’Université George Mason et promoteur de l’ouverture des frontières, convenait que, si on lui laissait le choix, il n’hésiterait pas à « immédiatement ouvrir les frontières » sur l’ensemble du globe. Et de rajouter : «Ma conscience ne me permettrait pas d’envisager une autre solution»
Les défenseurs de l’ouverture globale des frontières affirment que le mouvement illimité des personnes est en mesure d’éradiquer la pauvreté dans le monde. Michael Clemens, spécialiste en développement économique, a mené des recherches approfondies sur la mobilité internationale dans le monde du travail. Ses résultats suggèrent que les gains provenant de la réduction des restrictions sur les mouvements des personnes « sont susceptibles d’être prodigieux et pourraient atteindre des dizaines de milliards de dollars ».
Beaucoup de professionnels (économistes, experts en développement, hommes politiques) remettent en cause les dires et études des défenseurs de l’ouverture globale des frontières. Un sujet aussi sensible est en effet étroitement lié à des programmes et visées politiques. Toutefois, le professeur Saïd Adejumobi reste campé sur ses positions : « Nos dirigeants tiennent les premiers intéressés à l’écart et se servent de frontières purement artificielles et créées pour nous, mais par d’autres. A cause de ces frontières artificielles, nous nous déshumanisons et nous criminalisons nous-mêmes, tout en niant l’essence du panafricanisme ».
Grâce au Sommet de l’Union africaine de 2013 consacré au panafricanisme et à l’état actuel des mouvements régionaux, ces débats aboutiront potentiellement à une réforme de la situation sur le continent.
En 2014, eLearning Africa débattra sur la possible création d’un environnement en mesure de récompenser l’esprit d’initiative entrepreneuriale et d’encourager l’innovation africaine. Un pan entier de la réponse peut assurément être trouvé dans les efforts visant à ouvrir l’Afrique aux Africains.