Quelle doit être la motivation clé à la base des projets et les politiques d’éducation en Afrique et dans le reste du monde ? Faut-il mettre en avant l’innovation et rechercher les idées les plus nouvelles, les plus révolutionnaires et soutenir de nouveaux modes d’enseignement et d’apprentissage ? Faut-il au contraire mettre en avant le caractère durable et se concentrer sur les besoins pratiques dans tel ou tel contexte d’apprentissage afin de proposer des solutions stables et à long terme ? De telles questions ont souvent pour effet de diviser les gens et ne permettent pas de faire émerger des réponses définitives. Néanmoins, l’analyse des arguments des tenants de chacune des deux solutions permettrait peut-être de tirer le meilleur parti de ces deux options.
Par Alicia Mitchell
Dans un rapport récent sur les politiques et les projets d’eLearning en Afrique et au Moyen Orient, l’UNESCO a identifié une “trajectoire prévisible” pour les initiatives soutenues par les entreprises privées ou les agences de financement : “au départ, l’injection de fonds et de ressources permet de lancer le projet dans le cadre d’une phase pilote ; ensuite, des partenariats sont établis avec les parties prenantes, des étapes de contrôle et d’évaluation sont parfois prévues ; des Rapports de Projet sont rédigés, contenant parfois des recommandations en vue du déploiement du projet à grande échelle ; différents documents sont distribués pour communiquer autour des réussites du projet pilote mais une fois la phase pilote terminée, les ressources manquent bien souvent pour pérenniser le projet”.
Cette histoire est bien connue de tous ceux qui travaillent dans les domaines de l’éducation et des Technologies de l’Information et des Communications (TIC) et bien souvent, elle laisse dans son sillage une question lancinante : qui sont les véritables bénéficiaires de tels projets ? Est-ce que ce sont les élèves, les enseignants et les populations locales que ces projets sont censés aider ? Ou est-ce que ce sont les parties prenantes, les sponsors et les donateurs qui bénéficient de financements et de publicité ? Un projet peut tout à fait revendiquer avoir découvert des méthodes pédagogiques révolutionnaires pour rendre l’éducation accessible à un plus grand nombre, pour favoriser l’apprentissage indépendant, voire même pour redéfinir l’apprentissage en tant que tel, mais sans être revues par les pairs et sans programme réfléchi visant à les déployer, quelle est la véritable valeur de ces découvertes ?
Des questions du même ordre se posent en matière d’eLearning et le bloggeur Donald Clark vient de rédiger une critique cinglante du projet primé intitulé “Hole in The Wall” et mis au point par Sugata Mitra ; dans cet article, il critique également les théories « d’apprentissage auto-organisé » proposées par Sugata. La réponse ne s’est pas faite attendre : « Certaines personnes ont une vision, et il y a des critiques qui se juxtaposent à l’intelligence abstraite car quelques cas isolés ne peuvent répondre aux besoins de millions de personnes”.
Les doutes sur la véritable valeur de l’innovation sont souvent suscités par les soupçons de voir la “dernière nouveauté” n’être qu’une vieille idée recyclée. Dans un article paru dans le Rapport eLearning Africa 2013 qui sera lancé au début de la Conférence du même nom au mois de mai prochain, Neil Butcher exprime ses inquiétudes par rapport aux MOOC et autres Ressources Educatives Ouvertes (REO) qui n’auraient, à ses dires, été utilisés jusqu’à présent que pour « reproduire des modèles éducatifs hiérarchiques, lourds en contenu, développés il y a des centaines d’années pour répondre aux besoins de la société, au lendemain de la révolution industrielle ». Ces concepts recyclés méritent-ils le temps et l’argent qu’on leur consacre ?
Pour les tenants de l’innovation, l’argument selon lequel il convient de donner la priorité à la durabilité soulève également de nombreuses questions. Avec 38 % d’adultes illettrés, les systèmes d’enseignement traditionnels africains qui avaient été mis en place à l’époque où ces personnes étaient en âge d’aller à l’école affichent clairement leur échec qui est dû soit à une mauvaise qualité de l’enseignement, soit à une inégalité d’accès ou soit aux deux facteurs à la fois. Sans innovation, comment espérer atteindre un jour les millions d’enfants qui sont les laissés-pour-compte des structures d’enseignement actuelles ?
Faire le procès de l’innovation aux motifs qu’elle n’obtient pas toujours des résultats parfaits pourrait s’avérer risqué et ne pas traiter la question au fond. Par essence, l’innovation est expérimentale ; ainsi, l’échec est-il sans doute nécessaire et parfois inévitable, et ne doit pas être évité au profit de méthodes testées et éprouvées, a fortiori quand ces méthodes ont fait la preuve de leur inefficacité.
Le Docteur Harold Alleston, qui co-présidera cette année le Débat eLearning Africa sur la durabilité, aux côtés de Silvia Makgone, Secrétaire d’Etat chargée de l’Education en Namibie, définit clairement les positions contradictoires à ce sujet : «certaines personnes sont convaincues qu’en mettant l’accent sur l’innovation et les technologies, on a simplement persuadé les gouvernements et les consommateurs qu’il fallait investir dans des équipements qui sont rapidement devenus redondants. Pour ces personnes, priorité devrait être donnée au soutien à des projets durables. Pour d’autres personnes, l’innovation est cruciale pour assurer la compétitivité et la croissance économique de l’Afrique dans les années à venir. Pour ces personnes, l’innovation devrait être au cœur du système d’éducation”.
Dans un entretien avec les journalistes d’eLearning Africa, le Docteur Elletson a confié qu’il s’attendait à assister à “un combat à mains nues” lorsque Donald Clarke, qui prendra la parole durant le Débat, accompagné par Maggy Beukes-Amiss, experte des TIC et de l’eLearning, confrontera son point de vue avec celui d’Adele Botha, Chercheur de l’Institut MerakaTalking et d’Angelo Gitonga de l’Unité “TIC et Education” qui dépend du Ministère de l’Education du Kenya.
Pour tout savoir sur les arguments mis en avant par les deux côtés, ne manquez pas le Débat eLearning Africa. Le débat, qui aura pour thème la proposition suivante : « L’Assemblée est convaincue que le durabilité est plus importante que l’innovation pour promouvoir l’éducation en Afrique », débutera à 17h45 le vendredi 31 mai et clôturera ainsi la Conférence eLearning Africa 2013.