Sur le terrain

Ce suspense me tue

One_Thousand_and_One_Nights17« Ceux qui sont le plus souvent laissés de côté sont les minorités linguistiques. Respecter l’engagement des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) requiert une nouvelle approche du rôle crucial joué par les langues dans le développement de l’être humain. Car un véritable développement va de pair avec un développement linguistique, et ce n’est qu’en plaçant la langue au centre du développement que nous pourrons combler les lacunes et atteindre les objectifs du Millénaire, de même que d’autres programmes tels que l’éducation pour tous et l’éducation pour le développement durable ». Suzanne Romaine, Merton College Oxford

Dans « Les Mille et Une Nuits », Shéhérazade épouse Shahryar, un roi qui, à la suite d’une douloureuse rupture, a coutume d’exécuter chacune de ses épouses le matin suivant leur nuit de noces. Shéhérazade a néanmoins un plan : chaque nuit elle raconte au roi une nouvelle histoire et interrompt systématiquement son récit lorsque l’histoire devient passionnante. Le roi est ainsi obligé de repousser l’exécution de la jeune fille, jour après jour, afin de savoir le fin mot de l’histoire ; et d’écouter le début, et le suspense grandissant, de l’histoire suivante. Et ainsi, nuit après nuit, la reine rusée parvient à retarder sa mise à mort.

Par Alasdair MacKinnon

Pour les nombreux lecteurs Sud-Africains de l’hebdomadaire FunDza Literacy Trust, la situation est un peu différente ; mais leur réaction est identique. Les histoires narrées par des écrivains professionnels et semi-professionnels sont divisées en sept courts chapitres spécialement conçus pour être lus sur un téléphone mobile, chaque nouveau chapitre, se terminant souvent à un point crucial de la trame, étant publié à minuit-une. Il s’agit d’une version moderne de la méthode narrative de Shéhérazade qui a pour objectif de garder le lecteur en haleine et l’incite à revenir ; même si certaines fois le suspense s’avère insupportable. Comme un lecteur le faisait récemment remarquer : « Allez les gars, la suite ! Ça me tient en haleine ! »

Bien qu’il n’existe pas de rois menaçant de couper des têtes sur la scène littéraire africaine (espérons-le en tout cas), motiver les jeunes à lire n’en demeure pas moins extrêmement important. L’alphabétisation est la base de l’éducation et la lecture un outil essentiel pour l’apprentissage de la langue. Des histoires captivantes peuvent encourager les enfants à continuer à lire et à améliorer leurs compétences en orthographe et grammaire. Plus largement, la littérature peut également être un puissant moteur du changement social. Cependant en essayant de fournir des histoires de qualité au plus grand nombre, les promoteurs de l’alphabétisation se heurtent à de nombreux problèmes fréquemment rencontrés par les éducateurs dans l’Afrique d’aujourd’hui : les barrières linguistiques, culturelles, et la fracture numérique.

Greig Krull, spécialiste des technologies de l’éducation, est impliqué dans un projet appelé African Storybook (livre de contes africains). Actuellement à l’essai en Afrique du Sud, au Lesotho, en Ouganda et au Kenya, ce projet vise à créer une bibliothèque en ligne de matériel de lecture en plusieurs langues (œuvres de fiction, romans, poésie, comptines, chansons, devinettes) et invite ainsi les enfants à se plonger davantage dans la lecture et l’écriture de leur langue maternelle. Mais la création de contenus en plusieurs langues africaines n’est pas tâche aisée. Certains mots et expressions idiomatiques ne peuvent être littéralement traduits, certaines idées ne se transmettent qu’imparfaitement, et même l’orthographe peut s’avérer être un défi.

« En Ouganda, nous explique Greig, le Centre national de développement des programmes a fixé des standards orthographiques pour seulement 12 des 50 langues représentée dans le pays. En l’absence d’orthographe officielle, les locuteurs de cette langue doivent réaliser les traductions ensemble et se mettre d’accord sur les mots, les formulations et expressions qu’ils souhaiteraient utiliser dans les traductions. Il s’agit certes souvent d’une expérience intéressante, mais le processus peut être très long »

L’ambition de créer un contenu pertinent au niveau local est partagée par la fondation pour l’alphabétisation Fundza, qui estime qu’il est essentiel de retenir l’attention du lecteur. «Les histoires que nous publions ont une sensibilité locale forte, et portent souvent sur ​​des questions qui touchent le quotidien de nos lecteurs», précise Mignon Hardie, membre de la fondation. « Nos lecteurs peuvent s’identifier aux personnages et aux scènes et situations qui leur sont familières. Ils peuvent ainsi voir leur propre monde, des thématiques connues et des questions qu’ils se posent par le biais d’histoires qu’ils lisent et vivent, ce qui peut s’avérer être une expérience profondément émancipatrice »

En impliquant lecteurs, traducteurs et écrivains locaux, l’African Storybook et Fundza font de la littérature une entreprise sociale et aspirent à un changement plus large touchant la littérature, via les nouvelles technologies de communication. Les articles publiés en ligne ne sont pas gravés dans le marbre, au contraire de la littérature imprimée classique ; on peut les partager et ils peuvent être adaptés, comme c’est le cas dans toute tradition orale. Dans les zones rurales africaines, l’accès aux documents sur papier est onéreux et limité, d’où la nécessité d’utiliser Internet pour la distribution du matériel de lecture, que ce soit par le biais des plates-formes mobiles, des médias sociaux ou encore des imprimeries locales. Cette utilisation d’Internet vise à combler l’écart entre traditions écrites et orales sur lesquelles une large partie de l’African Storybook est basée, souligne Greig. Et, parallèlement, elle contribue à rendre la littérature vivante.

f47dcd4c-63dc-471c-969b-76c0836c85e1La Fondation FunDza pour l’alphabétisation utilise également les TIC pour atteindre son public ; leur réseau mobile compte actuellement environ 50 000 utilisateurs. Afin de rendre l’alphabétisation plus efficace, FunDza essaie d’encourager les jeunes Sud-Africains non seulement à lire, mais également à participer en qualité de Fundza Fans. Ce système a connu un écho extraordinairement positif. Selon Mignon Hardie « Plus de 400 écrivains aspirants y ont vu leurs écrits publiés. Et beaucoup parmi ceux-ci ont publié des travaux encore plus importants »

«Vhuthu Muavha, jeune homme de 17 ans originaire de la province de Limpopo, a envoyé, sur une période de cinq mois, une nouvelle de 20 000 mots qu’il avait tapée sur son téléphone portable Nokia … Le dévouement et la détermination que cela demande aux lecteurs est une preuve en soi de la valeur accordée à la publication de leurs écrits dans la désormais célèbre « Bibliothèque sur un portable » Fundza

Selon Hardie, l’importance des histoires va au-delà des seuls avantages qu’elles confèrent à l’alphabétisation. « La lecture approfondit également la compréhension des autres cultures, des comportements humains, et elle permet de développer l’empathie, cette capacité essentielle de ressentir ce que les autres ressentent. Tout cela est la pierre angulaire de la tolérance et du respect mutuel. Une fois que les gens ressentent  ce que les autres sentent, et tout particulièrement ceux qui sont différents, un changement social peut voir le jour »

Prenant conscience du pouvoir qu’ont les histoires dans le changement social, la Fondation Fundza a récemment lancé un nouveau programme dont le but est la mise en évidence des problèmes présents dans la société sud-africaine.

Mais si vous désirez en savoir plus, chers lecteurs, il vous faudra attendre la seconde partie de cet article qui sera publié le 27 Avril.

L’aventure continuera lors de la conférence eLearning Africa 2014 à Kampala, en Ouganda, dans le cadre d’une session intitulée «Histoires sur Téléphones Portables : l’avenir de la fiction ?» Si vous désirez en savoir plus, veuillez consulter en ligne le programme de la conférence.

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