Le développement des infrastructures de communication en Afrique révèle un grand nombre de difficultés liées à la situation du continent. Tout examen doit prendre en compte des questions d’échelle : Internet est un réseau fractionné réparti sur des distances aussi bien vastes que minimes, reliant des territoires, pays, villes, villages et peuples à travers le monde. Sur le plan continental, il existe des satellites et câbles sous-marins qui, depuis 2008, se chargent de connecter la plupart des États côtiers et de nombreux pays enclavés. Cependant, une connexion à l’un de ces câbles, bien qu’elle soit bénéfique pour un pays au niveau économique et politique, ne signifie pas pour autant la garantie d’un accès à Internet pour tous. Les différents moyens utilisés par les individus pour se connecter à Internet constituent pour nous une richesse en termes « d’innovation locale » et constituent un thème majeur de l’édition 2013 de la Conférence eLearning Africa.
Par Alasdair MacKinnon
De turbulentes évolutions ont agité la côte Est ces dernières semaines : des événements qui révèlent simultanément la fragilité mais aussi le potentiel de l’infrastructure Web existante. La société de câbles sous-marins SEACOM, majoritairement détenue par des Africains, et fournisseur de l’Internet à haut débit en Afrique de l’Est, a été touchée le mois passé par une série de ruptures de câbles au large de la côte égyptienne et en Méditerranée ; une multitude de coupures entraînant des pannes et la saturation du réseau sur tout le littoral. Le déroulement exact des événements est trop long à relater et les causes ne sont pas encore clairement définies ; bien que SEACOM considère comme improbable la possibilité d’une intervention délibérée, des rapports en provenance d’Égypte font état de l’arrestation de trois plongeurs occupés à saboter le câble de Telecom Egypt (leur mobile n’est pas connu à ce jour). Cette succession d’incidents a malheureusement eu lieu peu après l’annonce par SEACOM d’un vaste plan de modernisation de ses réseaux au sud et à l’est, afin de soutenir l’essor des services de connectivité africains.
Cette expansion soudaine de l’infrastructure en Afrique de l’Est, dont la résistance a été mise à rude épreuve, est menée par le Kenya. Le gouvernement kenyan, dont l’investissement de 4 000 milliards de dollars US dans les câbles sous-marins depuis 1999 a aidé le pays à se hisser à la tête de la révolution numérique, a publié son plan directeur national pour les TIC à la mi-février 2013. « Connected Kenya 2017 » est un projet ambitieux visant à faire du Kenya l’un des chefs de file de l’économie basée sur la connaissance. Le plan repose sur trois piliers clés : le développement des entreprises, le renforcement des TIC en tant que moteur de l’industrie et du commerce et la promotion de la valeur publique. En divisant leurs objectifs en plusieurs éléments, les chefs de projet reconnaissent clairement les questions d’échelle qu’implique le développement de l’infrastructure.
Outre les propositions de nouvelles législations et d’importantes évolutions commerciales – telles que la construction de la Konza Technology City, « un centre technologique durable de classe mondiale fédérant entreprises, résidents et aménagement urbain » –, le gouvernement compte également connecter plus de 90 % de la société kenyane au moyen d’initiatives fondées sur Internet dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et du social. Le rapport déclare que « l’éducation est la base de la connaissance pour tous » ; grâce à l’accès personnel aux équipements publics, il espère inclure tous les citoyens dans ses plans de croissance et de développement.
Augmenter le taux de pénétration d’Internet à un niveau tel nécessite la mise à disposition d’une « connectivité du dernier kilomètre » : relier les individus isolés, les populations rurales et les villages éloignés d’Afrique aux câbles qui ont atteint ses ports et ses capitales. Cela représente une opération totalement différente de celle consistant à poser et entretenir les connexions intercontinentales elles-mêmes, et requiert des procédés innovants de résolution des problèmes locaux.
Parmi les moyens utilisés par les individus pour accéder à Internet, les plus intéressants n’impliquent pas du tout la connectivité directe. En 2005, un rapport de l’UNESCO rédigé par Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet Nouvelle Génération, a dévoilé certains d’entre eux dans un examen détaillé portant sur « les utilisateurs d’Internet en Afrique, ou plus précisément, [ceux] sur qui Internet a un impact ». Dans des villages reculés du Burkina Faso, par exemple, il existe des messagers pour les courriels – un chauffeur se rendant en ville prendra les messages des villageois pour les envoyer depuis un cybercafé, et ramènera les réponses en version imprimée à son retour.
Un autre système de transmission de l’information de plus large envergure et qui remédie aux problèmes posés par l’illettrisme et la barrière de la langue est le système RANET (Radio and Internet for the Communication of Hydro-Meteorological and Climate Related Information : Radio et Internet pour la communication d’informations hydrométéorologiques et climatiques). Des informations météorologiques fournies par les bureaux participants sont collectées par satellite, ce qui permet aux météorologues de fournir des prévisions continentales plus exactes ; ce même satellite, qui est équipé de manière à permettre la radiodiffusion, distribue ensuite ces informations aux stations de radio locales, où elles sont traduites et communiquées aux agriculteurs dans la langue locale, ces derniers écoutant la radio sur des postes à énergie solaire ou à manivelle.
Le fait que la radio à énergie solaire ait failli constituer un mode de connexion au réseau pour les agriculteurs est remarquable. Mais depuis que le rapport a été rédigé, l’énergie solaire est devenue l’un des principaux outils permettant l’accès à Internet dans les endroits non reliés au réseau électrique. Dans les zones rurales de l’Ouganda, UNICEF a mis en place 50 unités de tambours numériques, des ordinateurs fonctionnant à l’énergie solaire, disposant d’un contenu éducatif et fabriqués pour durer à partir de barils de pétrole métalliques. Fonctionnant également à l’énergie solaire, des cliniques mobiles et des écoles parcourent l’Afrique du Sud et, dans le township d’Alexandra, un cybercafé entièrement alimenté à l’énergie solaire offre un accès gratuit aux étudiants et des prix subventionnés aux adultes, même pendant les longues et fréquentes coupures de courant. Fondé par l’entrepreneur sud-africain Peter Graham, l’établissement est situé dans un conteneur maritime aménagé. Cela le rend indépendant du réseau et lui permet également d’être déplacé.
Bénéficiant des améliorations apportées par des connexions internationales en constante évolution, ce sont ces innovations locales – employant des matériaux immédiatement disponibles et de l’énergie durable – qui incarnent les véritables progrès, passionnants de surcroît, de l’infrastructure africaine.
Pour aider ses participants à rester à la page dans le monde en perpétuel changement de l’infrastructure et de l’innovation, eLearning Africa proposera de nombreux débats à ce sujet dont le New Hues for Connectivity Blues. Jenny King, du réseau e-Schools en Afrique du Sud, s’exprimera sur l’introduction du haut débit dans les écoles en milieu rural et sous-desservies ; Getaneh Woldeyesus Woldemariam, de l’Institut des Études sur la paix et la sécurité de l’Université d’Addis-Abeba, effectuera une présentation sur Moodle et son utilisation dans les zones où la connectivité Internet est, selon ses propres mots, un « véritable casse-tête ».
De plus amples informations concernant ces débats et la conférence sont disponibles sur le site web d’eLearning Africa.