Dans le dernier rapport annuel des Perspectives Economiques en Afrique (PEA), le Maroc a été identifié comme le seul pays africain présentant un programme d’emploi de la jeunesse « bien développé » [i]. Il semblerait donc que le gouvernement marocain ait entrepris des actions appropriées pour obtenir ce résultat, faisant de son pays un exemple à suivre pour tous les autres. Cependant, les Unes de journaux de 2012, présentant des taux de chômage catastrophiques chez les jeunes diplômés et de tragiques cas d’auto-immolation, semblent nous raconter une tout autre histoire. Le service de presse d’eLearning Africa s’est penché sur le sujet afin de mieux comprendre comment le Maroc s’engage pour l’emploi des jeunes.
Par Alicia Mitchell
Le 18 janvier 2012, Abdelwahab Zeidoun s’est immolé lors d’une manifestation devant l’enceinte du Ministère de l’Education à Rabat. Zeidoun manifestait avec d’autres jeunes diplômés au chômage afin de dénoncer l’absence de réelles perspectives professionnelles et l’apparent manque de transparence dans le secteur public. Il succomba à ses blessures après cinq jours.
Manifestement le gouvernement marocain ne satisfait pas aux attentes d’une jeunesse de plus en plus découragée et désespérée. Bien qu’ayant désigné le Maroc comme pays ayant le programme dédié à l’insertion professionnelle des jeunes le plus efficace du continent africain, les détails du rapport des PEA n’omettent cependant pas le sérieux manque d’organisation et les obstacles culturels qui continuent d’entraver le développement de l’emploi dans le pays. De même que ses voisins nord-africains, le Maroc connaît un très haut taux de chômage chez les jeunes diplômés et le pourcentage d’inactivité des 15-24 ans se maintient à 17,6% depuis 2011 – tandis que le taux de chômage national est de 8,9%[i].
Bien que le gouvernement se soit énergiquement engagé dans des initiatives qui combattent directement le problème et encouragent la croissance économique, les résultats sont restés bien en-dessous des ambitions initiales. En 2006, trois programmes furent lancés. Les programmes Idmaj, Taehil et Moukawalati visaient à favoriser l’accès au premier emploi, offrir des formations pour la recherche d’emploi et accompagner les jeunes entrepreneurs en mettant à leur disposition des options de financement et de soutien à long-terme.
Néanmoins, ces programmes furent dès le début critiqués et le gouvernement fut accusé de s’être contenté d’un geste symbolique sans préparation suffisante pour affronter un tel défi. Le programme Moukawalati entendait créer 30.000 petites entreprises et 90.000 nouveaux postes en l’espace de deux ans : trois ans après le lancement du projet, l’objectif fut réduit à 10.000 entreprises[ii]. Le rapport des PEA précise que le plan n’a en fait conduit à la création que de 3.315 entreprises et d’environ 10.000 nouveaux emplois seulement.
Avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement dirigé par le Premier Ministre Abdelilah Benkirane à la fin 2011, un regain d’espoir pour un véritable progrès rejaillit malgré le mécontentement général manifesé alors par la population. Quelques semaines seulement après la mort d’Abdelwahab Zeidoun, le Parti de la Justice et du Développement, nouvellement élu, annonçait trois nouveaux programmes d’insertion professionnelle des jeunes, se concentrant cette fois sur « l’emploi au niveau communautaire des organisations sociales et éducatives », les chômeurs de longue durée et l’intégration à l’économie des secteurs formels et informels[iii].
Malgré l’ensemble de ces nouvelles initiatives, les mêmes critiques se poursuivirent contre les nouveaux gouvernements successifs et le secteur éducatif : premièrement, on dénonce un fossé trop grand entre les idéaux du gouvernement et la réalité de la culture entrepreneuriale du Maroc. En 2006, l’un des principaux obstacles au programme Moukawalati était l’incapacité des jeunes candidats à présenter un projet d’entreprise professionnellement viable et, comme l’ont montré les manifestations de l’an passé, le travail indépendant continue n’est toujours pas considéré comme une option profitable contrairement à l’attrait qu’on les jeunes pour la fonction publique représente. Le rapport des PEA indique qu’actuellement le secteur privé est incapable d’assurer les avantages de stabilité et les bénéfices sociaux qu’offre le secteur public.
Deuxièmement, les chefs d’entreprise déplorent que les jeunes diplômés manquent des compétences nécessaires pour intégrer le marché du travail mais aussi qu’ils ne comprennent pas ce qu’on attend réellement d’un employé, faisant d’eux des partenaires trop peu fiables. Un récent rapport de la Cour des Comptes du Maroc critiquait les « formations qui ne parvenaient pas à comprendre les tendances et demandes du marché de l’emploi au niveau local », et qui maintiennent le taux de recrutement des diplômés à moins de 30%[iv].
Répondant au service presse Magharebia, le sociologue Samira Kassimi s’est montré critique à l’égard de l’Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail marocain ainsi que des curriculums irréalisables que l’Office supervise : « Une fois leur diplôme en poche, de nombreux jeunes ne savent pas par où commencer. Il faut davantage que des connaissances techniques pour garantir un emploi. »
Un dialogue ouvert et sérieux entre les décideurs politiques, les acteurs de l’enseignement supérieur et les directeurs d’entreprises sera essentiel pour s’assurer, alors que l’économie croît et que des emplois sont créés, qu’il y aura suffisamment de compétences disponibles pour remplir ces fonctions nouvelles – chose plus facile à dire qu’à faire, naturellement.
En ce qui concerne l’entrepreneuriat, les Perspectives Economiques en Afrique recommandent moins de bureaucratie, d’assurances santé universelle et un meilleur encadrement légal du milieu des affaires afin de stimuler l’esprit d’entreprise du pays.
En se penchant donc à nouveau sur la critique des programmes destinés à l’intégration des jeunes initiés depuis 2006, on se rend compte qu’elle souligne ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. En tant que nation, le Maroc peut être fier de ses persévérants efforts pour améliorer une situation déjà difficile, et ce malgré les degrés de succès variés obtenus. Ainsi, la reconnaissance qui lui ait faite par les Perspectives Economiques en Afrique ne doit sans doute pas être vue comme un immense succès mais davantage comme un encouragement à persévérer dans sa tâche et un appel aux armes et à la prudence pour tous les autres pays qui entendent entrer dans la course.
[i] Analyse thématique : promouvoir l’emploi jeune (Maroc). Les Perspectives Economiques en Afrique. http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/pays/afrique-du-nord/maroc/
[ii] Développement du secteur privé et des entreprises : favoriser la croissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Lois Stevenson, Universités Francophones; Economie Gestion, 2012,
[iii] Le Maroc lance de nouveaux programmes de création d’emplois, Hassan Benmehdi, Magharebia, 30.01.2012 http://magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/features/2012/01/30/feature-02
[iv] Un rapport dénonce les insuffisances de la formation professionnelle au Maroc. Siham Ali. Magharebia. 06.02.2013. http://magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/features/2013/02/06/feature-03
[i] Les Perspectives Economiques en Afrique http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/thematique/youth_employment/l%E2%80%99action-publique-pour-l%E2%80%99emploi-des-jeunes-un-pietre-palmares/