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L’industrie africaine du jeu prend son envol

Moraba screen shots
Moraba

Pour un observateur extérieur, les minibus matatu qui parcourent à toute vitesse les rues encombrées de Nairobi constituent une menace sérieuse pour la sécurité publique. Mais pour les développeurs kényans, ces taxis qui défient la mort ressemblent plutôt à un jeu pour Smartphone qui ne demande qu’à être créé. Dans Ma3Racer, développé par le kényan Planet Ruckus, les joueurs se retrouvent au volant d’un bus matatu bringuebalant et doivent esquiver les piétons, vélos et camions. L’application a eu un gros succès auprès des têtes brulées virtuelles, puisqu’un mois à peine après sa sortie, elle avait déjà été téléchargée par près de 250 000 personnes dans 169 pays.

Par Steven Blum

Le monde du jeu mobile africain est en pleine expansion, favorisé, en cela, par l’apparition de téléphones bon marché, par l’afflux de nouveaux abonnés aux services de télécom et par un nombre croissant de développeurs ambitieux. Selon un rapport publié par Ericsson, l’Afrique subsaharienne compte actuellement 635 millions d’abonnés, un chiffre qui devrait atteindre 930 millions d’ici à la fin de l’année 2019. Pendant ce temps, le prix des Smartphones continue à baisser : un téléphone Android de construction chinoise comme le Tecno M3 peut actuellement être acheté pour 80 $ environ à Nairobi.

Même si les trajets fous en taxi et les attaques animalières sont des thèmes récurrents dans les jeux africains, de nombreux développeurs ont des ambitions beaucoup plus importantes. Originaires d’un continent qui comprend 54 pays, 3 000 cultures et des milliers de langues, les développeurs souhaitent lutter contre les perceptions occidentales et exposer les joueurs à des thèmes exclusivement africains.

Kuluya Games, basée au Nigeria, utilise des personnages distinctivement africains dans ses jeux. Dans Afro Fighters, une des applications les plus populaires du studio, le joueur peut se mettre dans la peau de Safari le Guerrier et tenter de vaincre le Seigneur Ténébreux d’Oti.

Leti Arts (Ghana) associe jeu et dessins humoristiques dans des titres comme Ananse: The Origin qui est basé sur un personnage du folklore ouest-africain.

« De nombreuses histoires africaines n’ont pas encore été racontées. Ananse est un personnage très habile, aux pouvoirs similaires à ceux d’une araignée, qui existait déjà dans l’Afrique ancestrale… bien avant la création de Spiderman », explique Wesley Kirinya, cofondateur, dans une interview accordée à Reuters.

D’autres applications visent à améliorer le niveau d’alphabétisation. Dans Zword, développé par la start-up nigérienne Matutu, les joueurs doivent épeler correctement un mot dans un laps de temps donné sous peine d’être mangés vivant par des zombies. « Plus vous tapez vite, plus ils meurent vite », telle est la devise du site Internet du jeu.

Une large partie des jeux et des applications mobiles du continent voient le jour dans des incubateurs et des espaces de collaboration comme iHub au Kenya, Co-Creation Hub au Nigeria et IceAddis en Éthiopie.

Par contre, les infrastructures mobiles ne permettent pas encore aux développeurs africains de tirer de véritables revenus des achats intégrés. Selon Ovum, une société d’études de marché dans le secteur des télécoms, un Africain moyen dépense environ 6 $ par mois sur son téléphone, contre 48 $ en Amérique du Nord.

Mais les choses commencent à changer avec le développement de la classe moyenne africaine.

« [La] perception du jeu évolue, note Wesley Kirinya dans une interview accordée à Polygon. Les gens le prennent plus au sérieux et le considèrent dorénavant comme une activité viable. Les autorités commencent à se mobiliser et à afficher leur soutien face à la croissance enregistrée ces deux dernières années par le secteur des jeux. »

Anne Shongwe, qui a fondé la compagnie sud-africaine Afroes après avoir travaillé dans le développement international pendant plus de 20 ans, explique que les choses ont commencé à bouger ces dernières années.

« Quand j’ai lancé mon entreprise il y a trois ans, il y avait un marché mondial pour ce genre de produit, mais pas de marché africain, explique-t-elle dans une interview accordée à CNN. Les compétences existaient, mais les entreprises estimaient que l’investissement n’en valait pas la peine. De notre côté, nous donnons la priorité à des contenus spécifiquement africains. »

Afroes emploie dorénavant neuf personnes en Afrique du Sud et au Kenya et donne la priorité aux jeux qui sensibilisent les joueurs aux questions sociales.

« Notre devise est d’agir en faveur du changement avec des jeux comme Moraba, explique Anne Shongwe. Créé dans le cadre d’un partenariat avec ONU Femmes, ce jeu a pour but de mettre fin à la violence à l’encontre des femmes. Les joueurs doivent répondre à des questions liées à la violence fondée sur le genre. »

Kinyua considère, lui aussi, les jeux comme des facteurs de changement social. « La plupart des jeux offrent un environnement dans lequel le joueur doit résoudre un problème par lui-même, explique-t-il. Pas de gang pour vous aider, pas d’amis pour vous soutenir, vous êtes seul face au problème, avec un nombre limité de vies. Peut-être que nous devrions commencer à prendre plus au sérieux l’idée selon laquelle il est possible de résoudre certains problèmes de société grâce au jeu. »

Quel que soit le thème, les développeurs africains attendent encore le best-seller qui permettra au secteur du jeu de prendre son véritable essor. « L’enjeu pour nous est d’être capables d’y parvenir avec un budget très limité, explique Kirinya. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un gros succès pour prouver que nous avons raison. Cela nous permettrait probablement d’obtenir davantage de financements pour créer et devenir encore meilleurs. »

One Comment

  1. Cela fait plaisir de voir que le monde du jeu bouillonne en Afrique.

    A Madagascar, nous avons porté le jeu traditionnel malagasy « Fanorona » sur Android et IOS … C’est un jeu de stratégie (à-la-façon des échecs) que vous pouvez déjà télécharger sur Google Play Store et AppleStore (en cherchant le mot-clé « e-fanorona »)

    N’hésitez pas à nous faire des feed-back pour que nous puission améliorer. Et au plaisir d’échanger avec d’autres développeurs de jeu de la région

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