Introduction : Une génération en danger
La guerre qui fait rage au Soudan depuis avril 2023 a plongé le pays dans une catastrophe humanitaire. Plus de 25 millions de personnes ont un besoin urgent d’assistance et 8 millions ont été déplacées, ce qui constitue la plus grande crise de déplacement au monde à ce jour. Parmi ceux qui souffrent le plus, on trouve les enfants soudanais, dont l’éducation a été quasiment réduite à néant par le conflit. Selon l’UNICEF, près de 19 millions d’enfants en âge d’être scolarisés ont vu leur apprentissage perturbé, avec au moins 10 400 écoles endommagées, occupées par des groupes armés ou forcées de fermer.
Sans une intervention urgente, le Soudan risque de perdre toute une génération à cause de l’analphabétisme, de la pauvreté et de l’instabilité à long terme. Cependant, l’espoir demeure. Une coalition d’éducateurs et d’experts en technologie pense qu’avec les bonnes stratégies – de l’apprentissage numérique à l’éducation tenant compte des traumatismes – les enfants du Soudan peuvent se réapproprier leur avenir. Dans ce dossier, cinq experts de premier plan analysent en profondeur la crise, son impact et les solutions susceptibles de restaurer l’éducation dans ce pays déchiré par la guerre.
L’éducation en danger : Un système au bord de l’effondrement
Le système éducatif soudanais était déjà fragile bien avant la guerre actuelle. Nafisa Abdo, doyenne de la faculté des technologies de l’information de l’université du Kordofan occidental, souligne que le secteur était déjà en difficulté en raison d’un sous-financement chronique, d’infrastructures médiocres et de l’instabilité politique. La guerre l’a maintenant poussé au bord de l’effondrement.
Avant le conflit, plus de 40 % des enfants soudanais n’étaient pas scolarisés. Aujourd’hui, avec des écoles détruites, des enseignants déplacés et des familles en mode de survie, les chiffres sont encore plus alarmants, explique le Dr Abdo. Les images satellite confirment que plus de 500 écoles ont été directement endommagées par les frappes aériennes et les bombardements, tandis que des milliers d’autres ont été transformées en abris pour les familles déplacées ou en avant-postes militaires.
Au-delà de la destruction physique, l’effondrement économique a rendu la scolarisation inabordable. Avec une inflation galopante et plus de 70 % des familles soudanaises vivant dans la pauvreté, l’éducation est devenue un luxe que peu de gens peuvent s’offrir. Les enseignants, qui faisaient déjà partie des professionnels les moins bien payés au Soudan, sont restés sans salaire pendant des mois, ce qui a contraint nombre d’entre eux à quitter la profession.
Si l’apprentissage numérique constitue une solution potentielle, le Soudan est confronté à une importante fracture numérique. Moins de 30 % de la population dispose d’un accès fiable à l’internet et seuls 10 % des ménages possèdent un ordinateur, indique le Dr Abdo. Sans un investissement significatif dans les infrastructures, l’éducation basée sur la technologie restera hors de portée pour la plupart des enfants soudanais .
La bataille cachée : Traumatisme psychologique et apprentissage
Même si les écoles rouvraient demain, de nombreux enfants soudanais auraient encore du mal à apprendre. Hala Nur, directrice du département d’anglais de l’université de Khartoum, met en garde contre les effets psychologiques dévastateurs de la guerre sur les enfants.
Les études menées dans les zones de conflit montrent que l’exposition à la violence et les déplacements ont un impact significatif sur le développement cognitif, explique le Dr Nur. Nous constatons une augmentation des troubles de stress post-traumatique (TSPT), de la dépression et de l’anxiété chez les enfants soudanais. Il leur est pratiquement impossible de se concentrer, de retenir les informations ou de s’engager dans un processus d’apprentissage.
Les chiffres brossent un tableau sombre de la situation. Selon une enquête de l’UNICEF réalisée en 2024, 67 % des enfants soudanais vivant dans des camps de déplacés présentent des signes de détresse émotionnelle grave, alors que seuls 5 % d’entre eux ont accès à une forme quelconque de soutien psychologique. L’absence de programmes psychosociaux structurés signifie que des millions d’enfants touchés par la guerre sont livrés à eux-mêmes pour faire face aux traumatismes.
Le Dr Nur estime que l’éducation tenant compte des traumatismes doit être intégrée dans les plans de rétablissement de l’apprentissage au Soudan. Les enseignants devraient être formés à reconnaître et à soutenir les élèves souffrant de traumatismes. Les écoles, qu’il s’agisse de salles de classe, de camps de réfugiés ou de plateformes en ligne, doivent devenir des espaces sûrs où les enfants peuvent guérir tout en apprenant.
L’éducation en exil : Les luttes des enfants soudanais déplacés
Pour les plus de 8 millions de personnes déplacées au Soudan, l’éducation n’est souvent qu’un pis-aller. Mlle Salah Abdo, doyenne de la faculté d’économie de l’Université ouverte du Soudan, explique que les enfants déplacés sont confrontés à d’énormes obstacles pour accéder à la scolarisation.
Les communautés d’accueil, déjà submergées par les pressions économiques et sociales, peinent à intégrer les enfants réfugiés dans leurs systèmes éducatifs. De nombreuses familles déplacées ne disposent pas des documents nécessaires à l’inscription, tels que les certificats de naissance ou les dossiers scolaires antérieurs. D’autres se heurtent à des barrières linguistiques lorsqu’elles cherchent à s’instruire dans les pays voisins comme le Tchad, l’Égypte et le Sud-Soudan.
Les statistiques du UNHCR soulignent la gravité de la situation : seul un enfant soudanais déplacé sur quatre est actuellement scolarisé. Les filles, en particulier, sont menacées : 40 % des filles déplacées ne retourneront probablement jamais à l’école en raison de mariages d’enfants, de responsabilités professionnelles ou de problèmes de sécurité.
Mlle Abdo estime que la solution réside dans des modèles éducatifs flexibles. Nous avons besoin de classes mobiles, d’initiatives d’apprentissage axées sur la communauté et de programmes d’éducation basés sur la radio qui peuvent atteindre les enfants déplacés où qu’ils se trouvent. Elle cite des interventions réussies en Syrie et en Afghanistan, où les élèves déplacés ont continué à apprendre grâce à des tablettes solaires, des applications d’apprentissage hors ligne et des émissions de radio dans les langues locales. Le Soudan doit adopter des mesures similaires pour éviter d’autres pertes éducatives.
Combler le fossé : la technologie et le soutien mondial comme bouées de sauvetage
La technologie a le potentiel de combler le fossé éducatif au Soudan, mais seulement si elle est mise en œuvre correctement. Khalid Mirghnee Mohammad, doyen de la faculté d’informatique et de mathématiques de l’université de Bahri, souligne que l’apprentissage numérique est une solution viable, mais que les limites de l’infrastructure constituent un défi majeur.
Le Soudan pourrait bénéficier de plateformes d’apprentissage mobile, de tablettes bon marché préchargées avec du contenu éducatif et d’un apprentissage par SMS dans les zones où l’accès à l’internet est insuffisant, explique M. Mohammad. En Sierra Leone et au Rwanda, des programmes similaires ont aidé les étudiants à poursuivre leurs études pendant les crises.
L’enseignement par radio constitue également une solution peu technique mais efficace. Des études montrent que les programmes radiophoniques éducatifs ont permis d’augmenter les taux d’alphabétisation de 30 % dans les zones touchées par un conflit. L’apprentissage par la radio, associé à des centres d’apprentissage communautaires, pourrait fournir un soutien éducatif immédiat pendant que nous travaillons sur des solutions numériques à long terme, suggère le Dr Mohammad.
Le défi consiste toutefois à trouver des financements. Le système éducatif soudanais a besoin d’une aide d’urgence estimée à 500 millions de dollars pour reconstruire les infrastructures, former les enseignants et fournir du matériel pédagogique. Pourtant, au début de l’année 2025, seuls 12 % des fonds nécessaires avaient été obtenus. Nous avons besoin que les organisations internationales, les partenaires du secteur privé et les gouvernements se mobilisent, souligne le Dr Mohammad.
Un appel à l’action : Le monde ne doit pas se détourner
La crise de l’éducation au Soudan n’est pas seulement un problème national, c’est une urgence humanitaire mondiale. Le professeur Bakri Abdul Karim, directeur des affaires internationales et de l’éducation mondiale à l’université nationale du Soudan, affirme que le rétablissement de l’éducation doit être une priorité absolue pour les donateurs internationaux et les gouvernements.
Si nous n’agissons pas, nous risquons de créer une génération perdue, prévient le professeur Karim. L’histoire montre que le manque d’éducation alimente les cycles de pauvreté, d’extrémisme et d’instabilité à long terme. Garantir l’éducation, ce n’est pas seulement aider le Soudan, c’est aussi garantir la paix régionale et mondiale.
Il appelle à une réponse mondiale urgente, exhortant les gouvernements, les ONG et les entreprises technologiques à collaborer à des solutions durables. Chaque enfant qui reçoit une éducation aujourd’hui est un enfant de moins qui risque d’être exploité, violenté ou radicalisé demain, affirme-t-il.
Conclusion : L’éducation ne peut pas attendre
La guerre au Soudan a poussé des millions d’enfants au bord de la catastrophe éducative. Toutefois, grâce à des modèles d’apprentissage innovants, à des solutions numériques et au soutien international, il y a encore de l’espoir. Le Soudan ne peut pas se permettre de perdre une génération entière à cause de la guerre. La communauté internationale doit agir maintenant, car l’éducation n’est pas seulement un droit. C’est une bouée de sauvetage.