Aperçus de la conférence

Profil : Professeure N’Dri Thérèse Assié-Lumumba

Par : Harold Elletson

« L’éducation est la clé qui ouvre toutes les portes », affirmait Nelson Mandela. C’est probablement la plus importante composante des plans de l’Union africaine et des Nations Unies visant à éradiquer la pauvreté et créer un « continent transformé ». Quel regard une éminente théoricienne de l’éducation et intellectuelle africaine pose-t-elle sur les défis et perspectives liés à ce secteur ?

Intervenante à l’édition eLearning Africa de cette année à Abidjan en Côte d’Ivoire, le Professeure N’Dri Thérèse Assié-Lumumba figure parmi les éminentes matières grises d’Afrique en matière d’éducation et de développement. Elle est née et a grandi en Côte d’Ivoire, mais a également étudié en France, au Canada et aux États-Unis. Entrée à l’Université Cornell aux États-Unis en 1991, elle y est restée depuis lors. Initialement titulaire d’une bourse Fulbright de recherches supérieures et d’une bourse de la Fondation Ford, elle a eu une brillante carrière académique, mais aussi exercé en tant que conseillère principale pour plusieurs agences, organisations et fondations internationales en charge du développement. À présent, elle est l’une des universitaires africaines les plus respectées à l’international et est une autorité mondiale en matière d’éducation comparative.

Elle est convaincue du rôle vital de l’éducation et de la formation à ce moment charnière de l’histoire de l’Afrique. Et, de son point de vue, ces deux domaines sont étroitement liés.

« De manière générale, affirme-t-elle, l’éducation est le processus de développement du plein potentiel des individus et des groupes par l’acquisition de compétences techniques, de la pensée critique et des valeurs qui donnent un sens à l’usage avisé et positif des aptitudes dans une optique de progrès social.  À cet effet, la formation, qui consiste parfois à acquérir ou favoriser des compétences techniques, ne doit pas être perçue ou considérée comme dissociée de la pensée critique et des valeurs.  Certes, la formation est parfois liée à l’acquisition de compétences techniques « neutres ». Mais, toute formation ne peut atteindre ses objectifs sociétaux que si les facteurs sociaux et valeurs qui sous-tendent son usage constructif sont intégrés au processus d’apprentissage de ces compétences, dans des « écoles normales » ou des écoles techniques et professionnelles à tous les niveaux des systèmes éducatifs. »

L’Afrique doit dépasser l’héritage historique et faire le nécessaire pour planifier efficacement la gestion des nouveaux défis et tirer parti des opportunités, telles que la population jeune en pleine croissance du continent. Le but de la technologie visant à préparer le secteur africain de l’éducation et de la formation à relever ces nouveaux défis est certes très important, mais ne doit pas être surestimé.

« La technologie ne doit pas être perçue comme une panacée. Si utilisée au service d’une instruction bien définie, de la formation initiale et de la remise à niveau des enseignants, de la maternelle au secondaire, ainsi que pour produire et diffuser les savoirs, elle peut contribuer de façon proactive à résoudre certains de ces problèmes. »

Professeure d’Études africaines et de la Diaspora à l’Université Cornell et présidente de l’Association pour l’éducation internationale et comparative, elle pense que les concepts éducatifs africains sont importants non seulement pour l’Afrique, mais présentent également de potentiels avantages pour le monde entier.

« Le paradigme d’Ubuntu (terme sud-africain ayant des équivalents dans d’autres langues d’Afrique) établit la nécessité de concevoir la vie de sorte à reconnaître l’interdépendance factuelle entre les humains, leur environnement social et physique et tous les êtres et organes vivants, ainsi que les entités apparemment inanimées.  La vie est essentiellement définie par un réseau complexe de connexions directes et diffuses aux réalités proches et distantes, visibles et invisibles… 

« De plus, si les Africains agissent ensemble, ils pourront non seulement résoudre les problèmes du continent et promouvoir le progrès social en Afrique, surtout dans l’optique historique de la Quatrième révolution industrielle. Ils peuvent et doivent contribuer à l’évolution de l’humanité en promouvant la philosophie Ubuntu à l’échelle mondiale, comme boussole morale vers une réparation universelle. En tant que philosophie de vie globale, centrée sur l’humain et soucieuse de l’environnement, ce concept peut s’avérer utile en renforçant et promouvant un principe directeur favorable au progrès social à l’échelle mondiale. Le modèle humaniste intégré au paradigme Ubuntu est d’une importance particulière. Bien ancré aux connaissances culturelles, philosophiques, et historiques, ainsi qu’à l’organisation sociale qui constitue le fondement de l’esprit africain, Ubuntu offre un avantage comparatif certain qu’on peut appliquer à l’Afrique et répliquer dans le monde dans une optique de bien-être collectif. »

Son optimisme quant aux perspectives du continent repose peut-être sur sa croyance en la force intérieure de l’Afrique et en la valeur de ce qu’elle peut offrir.

« Je suis optimiste quant à notre capacité à changer en quelques années la réalité et l’image de l’Afrique. Mon optimisme repose sur ma ferme conviction qu’avec de la volonté politique, un leadership avisé, un sentiment de responsabilité collective à tous les niveaux de la société, nous pouvons garantir une évolution et promouvoir l’espoir pour tous. »

Dans son ouvrage intitulé Re-visioning Education in Africa: Ubuntu-Inspired Education for Humanity (sous la direction d’Amoako et Assié-Lumumba, paru en 2018 chez Palgrave MacMillan, New York), son coauteur et elle soutiennent que les organisations régionales et continentales africaines et leurs dirigeants doivent s’affirmer avec confiance et agir à tout niveau avec vision, décision et une orientation claire. Ce faisant, ils feront écho de la volonté des Africains et de leurs aspirations relatives à une vie de dignité et au progrès social pour tous. 

« Les cibles contenues dans l’Agenda 2063 de l’UA sont en harmonie avec ces points de vue », affirme-t-elle. Cependant, elle souligne qu’il y a eu d’autres initiatives visant à propulser l’Afrique vers le futur.

« Il convient de rappeler qu’il y a eu d’autres engagements continentaux et mondiaux, mais ils n’ont pas atteint les objectifs ciblés malgré les résultats positifs… Les facteurs internes et externes expliquant les écarts récurrents entre les objectifs énoncés et les performances réelles sont nombreux et complexes.  Les plus flagrants sont liés à l’insuffisance de cohérence dans l’articulation et la gestion de l’idée au centre de projets nationaux, dans un contexte mondial de mobilisation et d’affection de ressources.  L’application des valeurs de service est essentielle, car celles-ci sont des orientations responsables de la richesse de l’Afrique. Ainsi, même si l’aide mondiale est utile, les projets de développement peuvent jouir de ressources africaines fiables et de la richesse générée, garanties par la stabilité politique et la paix. »

Consenti cette fois-ci sous la houlette de l’Union africaine, l’effort est alors plus puissant et plus déterminé que jamais. Avec l’éducation comme élément central, comme le croit le Professeure Assié-Lumumba, on peut s’attendre au moins à la satisfaction des aspirations liées à une vie de dignité et de progrès social pour tous les Africains.


La Professeure N’Dri Assié-Lumumba prendra la parole en Séance plénière le jeudi 24 octobre. Vous pouvez consulter l’intégralité de son profil dans le Rapport eLearning Africa à publier le 23 octobre.
Jetez un coup d’œil à la suite du programme de
eLearning Africa 2019 ici.

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