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Du Workshop au Monde du Travail : Plongée dans la mission de Constance Swaniker pour élever l’enseignement technique

Dans le paysage en pleine mutation des compétences et de l’industrialisation au Ghana, rares sont les figures qui ont influencé la conversation contemporaine sur l’artisanat, l’éducation technique et l’employabilité autant que Constance Swaniker, sculptrice, entrepreneure et fondatrice d’Accents & Art ainsi que du Design & Technology Institute (DTI).

Qu’il s’agisse de transformer de la ferraille en œuvres d’art reconnues, ou de former la prochaine génération de soudeurs de précision, de designers et de fabricants, Swaniker a construit un héritage fondé sur l’excellence et la discipline. Son institut est aujourd’hui l’un des principaux modèles d’école de production en Afrique de l’Ouest, combinant des cursus BTEC accrédités par Pearson, un apprentissage pratique, des compétences transversales et une immersion dans l’industrie. Son travail a d’ailleurs suscité une reconnaissance internationale, notamment lors d’une récente audience avec Sa Majesté le roi Charles III, au cours de laquelle elle a défendu l’innovation durable et le potentiel créatif ghanéen.

Nous nous sommes entretenus avec elle à propos de l’avenir des compétences techniques, de la perception culturelle du TVET, et de ce qu’il faut réellement pour préparer les jeunes Africains à un travail porteur de sens.

1. Parcours et premières inspirations

Vous avez souvent évoqué les expériences formatrices qui ont orienté votre trajectoire dans les industries créatives et techniques. Où avez-vous grandi, et quelles influences ont façonné votre regard artistique ?

J’ai grandi dans plusieurs pays africains. J’ai quitté le Ghana à l’âge de cinq ans et mes années de formation se sont déroulées en Gambie puis au Botswana, où ma famille a vécu près de quarante ans. Ma mère y était résidente permanente et ma sœur est même devenue citoyenne botswanaise. D’une certaine manière, je considère aussi le Botswana comme mon foyer.

La créativité, cependant, a toujours fait partie de moi. Je fabrique des objets avec mes mains depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Mais suivre une voie artistique n’était pas vraiment encouragé pour les jeunes Africains issus de familles de classe moyenne, surtout dans un système éducatif encore marqué par l’héritage colonial et peu valorisant envers les filières techniques et artistiques. Même si j’ai étudié l’art à l’université, je n’imaginais pas que cela me mènerait ici ; j’ai simplement suivi ma passion.


Votre carrière a commencé non pas dans une salle de réunion, mais dans un atelier. Qu’est-ce qui vous a d’abord attirée vers le travail du métal et l’art industriel, et à quel moment avez-vous compris que cette passion pouvait devenir ce que vous avez construit aujourd’hui ?

Après l’université, il n’existait pas vraiment d’industries créatives établies dans lesquelles entrer. J’ai donc fini par travailler dans un atelier de menuiserie, où je faisais du design. Cette expérience a tout changé. Elle m’a exposée à la discipline liée au travail des matériaux et au fossé immense entre le milieu académique et le monde professionnel.

Ce fossé est vraiment ce qui a tout déclenché. Je voyais la demande pour des artisans qualifiés, le manque de formations structurées et les opportunités qui existaient dès lors que l’on abordait l’artisanat avec rigueur et intention. Cette approche a conduit plus tard à la création d’Accents & Art, puis, des années après, au Design & Technology Institute. Rien n’était planifié au départ. Je suivais simplement le travail, j’identifiais les manques et j’y répondais.

2. Construire le Design & Technology Institute

DTI est décrit comme une institution nouvelle en Afrique de l’Ouest, un modèle d’école de production qui mêle créativité, technologie et employabilité. Pour ceux qui ne la connaissent pas, quel est le modèle de DTI et quel problème cherchiez-vous à résoudre en le fondant ?

Lorsque j’ai fondé DTI, la mission était claire : combler le fossé entre ce que produisaient les écoles et ce dont l’industrie avait réellement besoin. Pendant des années, j’en ai fait l’expérience en tant qu’entrepreneure. Je peinais à trouver des artisans compétents, capables de travailler à un niveau d’exigence élevé. Je n’étais pas la seule. Beaucoup d’entreprises importaient des talents étrangers parce que les diplômés locaux n’étaient pas prêts à entrer sur le marché du travail. DTI a été créé pour changer cette réalité.

Notre modèle repose sur une formation axée sur les compétences et sur une exposition à des conditions réelles de production. Nous combinons une base technique solide avec les compétences comportementales que les employeurs demandent constamment : communication, discipline, assurance et travail d’équipe. Avant de lancer l’institut, j’ai visité des écoles techniques et de design dans le monde entier, et j’ai compris que l’Afrique méritait un centre d’excellence capable de rivaliser avec les standards internationaux.

Lorsque nous avons commencé, nous n’avions pas anticipé la vitesse à laquelle la technologie allait transformer les parcours professionnels traditionnels. Le défi ne concernait plus seulement les artisans, mais aussi les milliers de diplômés d’université qui n’allaient pas trouver de travail dans un secteur formel en contraction. Le TVET et les métiers qualifiés sont devenus encore plus essentiels, et DTI s’inscrit désormais dans un changement systémique beaucoup plus large sur le continent.


Beaucoup de jeunes perçoivent encore le TVET comme un choix de dernier recours. Après avoir formé des centaines d’apprenants, quelles idées reçues vous frustrent le plus, et comment DTI les combat au quotidien ?

Le principal problème est la perception. Les gens entendent “manuel” et pensent immédiatement “travail pénible” ou “peu valorisant”. Mais le monde a changé, et les salaires aussi. Un soudeur qualifié peut gagner jusqu’à 700 dollars de l’heure sur certains projets. Aujourd’hui, les travailleurs qualifiés gagnent bien plus que de nombreux diplômés universitaires.

À DTI, nous travaillons activement à repositionner le TVET :

  • Nous collaborons avec des entreprises du pétrole et du gaz ainsi qu’avec des sociétés minières.
  • Un tiers de nos apprenants sont des étudiants en ingénierie venus compléter ou réorienter leurs compétences.
  • Nos programmes, incluant le design, l’animation, le web design et la photographie, montrent que le TVET va bien au-delà des métiers traditionnels. Il est aussi digital et créatif.

Tout repose sur le récit que l’on construit, sur la manière dont on valorise ces filières et sur la capacité à montrer aux jeunes que les compétences techniques ne constituent pas un plan B, mais un chemin vers la prospérité.


Les admissions pour la prochaine cohorte sont ouvertes. Qu’est-ce qu’un futur candidat doit savoir avant de postuler, et quelles qualités recherchez-vous ?

Nous recherchons des jeunes exceptionnels, véritablement affamés de réussite. Cette “faim” compte, car elle apporte la résilience et la ténacité qui manquent parfois à la génération actuelle, où le sentiment d’acquisition peut l’emporter sur l’effort.

  • Au-delà des critères d’entrée, je veux comprendre qui vous êtes :
  • Qu’est-ce qui vous motive ?
  • Quels sont vos objectifs personnels ?
  • Êtes-vous prêt à être discipliné ?
  • Pouvez-vous incarner les valeurs de précision, de qualité et d’excellence ?

À DTI, la discipline n’est pas négociable. Nous attendons de nos apprenants qu’ils portent la marque avec fierté. Lorsqu’un diplômé arrive dans une entreprise, je veux que les employeurs se disent : “Celui-là vient sûrement de DTI.”

Cette combinaison de détermination, de discipline et de quête d’excellence est ce que nous recherchons.

3. Innovation, artisanat et production locale

Votre rencontre récente avec Sa Majesté le roi Charles III a mis en lumière l’économie créative ghanéenne sur la scène internationale. Que représentait ce moment pour vous, et quel message souhaitiez-vous transmettre sur l’artisanat et l’industrie africaine ?

Pour moi, c’était l’occasion de montrer l’excellence africaine, pas une version édulcorée, mais le meilleur de ce que nous pouvons offrir. Je voulais que ce soit clair : l’Afrique n’aspire pas à être “suffisante”, elle vise à atteindre et dépasser les standards mondiaux.

À mesure que le monde évolue, l’on dit qu’un jeune sur quatre entrant sur le marché du travail mondial sera africain. L’Occident dépendra de plus en plus de nos compétences. Mais pour être compétitifs, nous devons redéfinir notre propre perception de nous-mêmes. Trop souvent, les Africains manquent de confiance, en partie à cause de notre éducation, où l’on nous apprend à être vus mais pas entendus.

Mon message était simple : montrons au monde ce que l’excellence africaine représente réellement, une excellence authentique et ancrée dans notre identité.


Dans vos deux structures, Accents & Art et DTI, vous défendez le principe “apprendre en faisant”. Avez-vous un exemple concret de la manière dont le travail pratique peut transformer la confiance et la compétence d’un jeune ?

Nos apprenants sont exposés dès le premier jour à des organisations internationales, à des dirigeants d’entreprise, à des architectes et à de grands clients. Lorsqu’un jeune réalise qu’il crée pour des personnes de ce niveau, sa confiance change immédiatement.

Nous avons également fait des choix stratégiques :

  • Nous travaillons uniquement avec des marques alignées sur nos standards.
  • Nous montrons aux apprenants ce qu’est l’excellence en conditions réelles, pas en théorie.
  • Nous faisons de la qualité une attente par défaut, et non une exception.

Cette exposition transforme les jeunes. Elle les pousse à se hisser au niveau requis. Lorsque l’on vous confie un projet réel, pour un client réel, vous ne pouvez pas vous cacher. Vous progressez.

4. Partenariats, croissance et impact national

Le Ghana continue de promouvoir une formation pilotée par l’industrie et un modèle fondé sur les compétences. Quels progrès vous inspirent, et où se situent selon vous les urgences ?

Le Ghana avance dans la bonne direction. Après 68 ans d’indépendance, ce n’est que récemment que le pays a commencé à investir sérieusement dans le TVET. Cela montre à quel point nous sommes encore au début du chemin.

Ce qui m’encourage, c’est l’engagement clair du gouvernement en faveur de réformes : alignement des programmes, changements politiques, adoption de l’apprentissage basé sur les compétences. DTI a la chance de travailler avec les décideurs pour les aider à définir ces réformes et à repenser la notion de qualité.

Mais la priorité aujourd’hui est la qualité et la standardisation. Le Ghana compte plus de 450 écoles de TVET. La vraie question est : fonctionnent-elles toutes au niveau attendu par l’industrie ? C’est là que se situe le travail essentiel, en particulier la cohérence, l’investissement dans des centres d’excellence et la résistance à la tentation d’élargir trop vite au détriment de la qualité.


Parmi toutes les réussites issues de DTI, y en a-t-il une qui vous émeut toujours ?

Ce qui compte le plus pour nous est très simple : les apprenants. Les voir intégrer le monde du travail et gagner le respect de l’industrie.

Quand un employeur nous appelle pour dire : “Vos étudiants sont différents, ils comprennent la discipline et la qualité”, c’est là que l’impact est réel. L’objectif de DTI est de former des jeunes capables de s’affirmer dans un environnement professionnel, et chaque fois que cela se produit, nous savons que le modèle fonctionne.

5. L’avenir des compétences techniques en Afrique

Beaucoup de jeunes Africains rêvent de créer des entreprises dans l’éducation, l’artisanat ou l’industrie. Quel conseil honnête donneriez-vous à ceux qui veulent construire quelque chose de significatif, au-delà des tendances ou de la recherche de financement ?

Construire quelque chose de réel n’est pas pour les âmes sensibles. Il faut être authentique, fidèle à sa vocation, et accepter que le travail profond prenne du temps. Je fais cela depuis plus de trente ans, et seules la constance, la passion et la discipline m’ont portée. Il n’existe pas de raccourcis. Il faut être prêt à travailler dur, et considérer chaque obstacle comme une opportunité d’apprendre, non comme une raison d’abandonner.


Vous évoluez dans un univers très exigeant, et beaucoup de jeunes fondateurs peinent à gérer la pression. Comment faites-vous, personnellement, pour rester ancrée ?

Le monde d’aujourd’hui est bruyant. Je gère cela en me coupant du bruit et en restant concentrée. On ne peut pas tout faire à la fois. Beaucoup de jeunes veulent se lancer dans dix projets à la fois, mais le progrès réel vient du fait de faire une chose, de la faire bien, et de la faire de manière cohérente.

Quand je décroche, je décroche vraiment. Je passe du temps dans la nature ; nos campus et espaces de travail sont remplis de plantes. La nature m’équilibre et m’apaise. Je reste aussi fidèle à mes routines, je suis très organisée, et cela m’aide à gérer la pression.


Votre lien avec la nature remonte-t-il à vos jeunes années ?

Oui. Ma mère adorait les plantes, j’ai donc grandi entourée d’elles. Avec le temps, j’ai compris à quel point la nature nous offre des ressources inestimables, en particulier pour les personnes créatives. Elle apporte clarté et perspective, et cela m’accompagne depuis toujours.

6. Off the Record – Questions rapides

Un mythe sur le TVET ou les carrières techniques que vous aimeriez voir disparaître ?

La perception. Les gens dévalorisent encore les métiers techniques, mais cette mentalité n’a plus sa place dans l’économie moderne. Le TVET est qualifié et essentiel.

Une chose que les gens seraient surpris d’apprendre sur vous ?

Je suis extrêmement organisée, presque de manière obsessionnelle. Tout a son ordre dans mon espace. Je ne fonctionne pas dans le chaos.

Un mot pour décrire l’avenir de l’Afrique ?
Prometteur.

Entretien réalisé par Warren Janisch.

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