Un poète, un chanteur, un historien, un musicien, un comédien, un humoriste, un amuseur. Le griot est tout cela réuni et plus encore. À travers le storytelling et la musique, le griot partage et perpétue depuis des siècles les identités et histoires des communautés en Afrique de l’ouest. La culture orale sur le continent africain a perduré alors qu’elle a presque disparu dans tous les autres pays du monde. Mais avec le déplacement des populations et l’essor des loisirs numériques, qui continuera à perpétuer ces histoires au coin du feu et qui sera là pour les entendre ?
Par Alicia Mitchell
Les traditions orales de l’Afrique de l’ouest ont été longtemps reconnues à travers le monde comme un outil puissant de communication. Aux États-Unis, des études sur la culture des griots ont offert à la diaspora africaine un moyen de remonter à leur héritage ancestral et de le perpétuer. Des projets ont été élaborés en vue d’encourager les jeunes à découvrir et assumer le rôle des griots dans leurs propres communautés. Cependant en Afrique, comme l’écrit Buchi Offodile dans la préface de sa collection de contes populaires africains, « la culture traditionnelle de narration au clair de lune de la société agraire… a presque disparu. À sa place est venue s’ancrée une société plus urbaine de type occidental. ».[i]
Mais ces traditions sont-elles associées à une vie rurale au risque d’appartenir un jour au passé ? Les moyens évidents de traduire la culture du storytelling pour être utilisée par un public moderne – par l’enregistrement et la retranscription – risquent de faire perdre la spontanéité de circonstance qui distingue la culture orale : un talent essentiel pour tout griot est d’être capable de répondre de manière incisive et avec esprit à toute situation. Si vous supprimez l’élément de performance et le potentiel d’interaction avec l’environnement et le public, la magie du moment disparaît alors.
Cependant, il s’agit d’une lutte évidente entre la tradition et la modernité, où le gagnant rafle tout. Il existe des innovations en matière de technologie et des réflexions qui créent de l’espace pour la coexistence des deux. Si nous interprétons certains éléments-clés de la culture orale, comme le fait qu’elle soit centrée sur le contexte local et son interactivité inhérente, les technologies modernes pourraient, de multiples manières, encourager et non pas éclipser les valeurs des griots.
La musique rap contemporaine est un exemple omniprésent en la matière. En s’adressant à la BBC en 2004, Faada Freddy, membre du groupe de rap sénégalais Daara J, décrivit les rappeurs comme des « griots modernes » de notre époque, jouant le rôle de « caméras de la société ».[ii] Concentrés sur les expériences personnelles, les problèmes locaux et les combats et succès de la vie quotidienne tout en combinant des strophes préparées avec des commentaires improvisés, les liens entre les styles du rappeur et du griot sont nombreux.
Alors que le griot pouvait jadis parcourir à pied de nombreux kilomètres pour partager les histoires de son roi ou de sa communauté, les TICs permettent aujourd’hui de partager des histoires locales en ligne avec le monde entier. Dans la dernière décennie, nous avons été témoins d’une révolution dans la diffusion de nos propres informations, avec un son de haute qualité et des appareils d’enregistrement vidéo intégrés même dans des téléphones mobiles basiques et des sites web tels que YouTube et Twitter. Cela permettant aux jeunes de partager leurs contributions créatives et de montrer leurs performances sur Internet au niveau mondial.
Une interprétation moderne de l’interactivité de la culture orale est également présente dans l’essor du « storytelling numérique » qui profite des qualités uniques des images, des films, du son et des textes enregistrés pour explorer les manières de permettre aux gens de faire entendre leur voix grâce aux médias numériques.
À l’origine sous forme de diaporamas ou de simples vidéos accompagnées de récits, le storytelling numérique a avancé jusqu’à inclure des projets entièrement interactifs et participatifs englobant des formes non linéaires et expérimentales du storytelling.
Qui plus est, concevoir des histoires numériques est largement accessible à de nombreuses personnes en travaillant avec des appareils sans grande technologie et des logiciels disponibles gratuitement. Avec un seul téléphone mobile ou un ordinateur pour débutant, il est possible à chacun de rédiger, de concevoir et de partager des évènements de la vie sous forme unique et de manière plaisante. Cet accès démocratisé offre la possibilité de valoriser des groupes marginalisés, de permettre aux gens de faire entendre leur voix alors qu’ils ne le pouvaient pas avant.
En poussant la réflexion plus loin, nous trouvons des projets tels que le programme Ulwazi, une base de données appartenant à une communauté de Durban, en Afrique du sud. Le programme Ulwazi documente et diffuse les connaissances autochtones, y compris les « célébrations traditionnelles, les costumes traditionnels, les proverbes zoulous, les contes traditionnels, l’usage des herbes spirituelles et les méthodes agricoles traditionnelles ». Tout cela est rendu possible en utilisant des textes, photos et films ainsi qu’à l’aide de jeux en ligne et d’une « carte du patrimoine » interactive.[iii]
En tant que projet collaboratif, compilé par des habitants locaux et alimenté par des histoires de leur vie et de leur héritage, il s’agit d’une sorte de storytelling participatif qui n’aurait jamais été possible sans l’utilisation des TICs.
Au lieu de les coucher par écrit et les ranger dans des archives dormantes, les TICs nous permettent de créer, de partager et de commémorer des histoires récentes ou anciennes. Il est peu probable que notre intérêt pour le storytelling disparaisse. Les traditions des griots seront capables de survivre, de prospérer et d’inspirer aux côtés des nouveaux modes de storytelling. Avec un peu d’innovation et d’imagination, en effet, des nouvelles traditions verront le jour.
[i] Offodile, Buchi. La jeune orpheline et autres récits : contes populaires d’Afrique de l’ouest. New York : Interlink 2001.
[ii] Pollard, Lawrence. Le rap retourne à ses origines africaines. BBC News. Septembre 2004. http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/3622406.stm
[iii] McNulty, Niall. Les TIC pour la préservation des connaissances autochtones. ICT Update. Décembre 2009. Édition 69. http://www.mcnulty.co.za/wp-content/uploads/2012/12/ICT_69_CASE2_ENG.pdf