Sa femme l’a quitté, sa famille l’a déshérité et il a été considéré comme malade mental pour avoir essayé de créer un nouveau mode de vie. Depuis, l’agriculteur éthiopien Zumra Nuru a prouvé que ses idées d’égalité et de justice étaient essentielles pour réduire la pauvreté et accroître le développement. Parti de rien en 1972, Zumra Nuru a créé une communauté démocratique et durable dans laquelle les femmes et les hommes vivent égaux et dans laquelle la majorité des jeunes vont à l’université. Cette communauté, Awra Amba, est un modèle de développement pour l’Éthiopie et au-delà.
Indépendamment de toute aide extérieure, Awra Amba a décidé de lutter contre la famine menaçante pour former une communauté qui abrite aujourd’hui des entreprises florissantes et qui peut investir dans des services sociaux tels que l’éducation et la santé, qu’elle partage avec des milliers d’habitants de la région.
La remarquable histoire de ce village a inspiré un documentaire interactif qui est aussi une ressource d’eLearning : The Awra Amba Experience. Développé en partenariat avec la communauté, le documentaire fait pénétrer les étudiants dans la vie quotidienne des villageois, en les immergeant dans un paysage virtuel à 360°. Il présente aux spectateurs le mode de vie des habitants et aborde les principaux thèmes du débat mondial actuel sur le développement. Paulina Tervo, metteur en scène, productrice et scénariste, qui assure aussi la promotion de The Awra Amba Experience et a cofondé la société de production Write This Down Productions, a raconté à Annika Burgess, rédactrice en chef d’eLearning Africa, son expérience d’Awra Amba et évoqué toute la puissance des supports interactifs.
Comment est né The Awra Amba Experience ?
Je suis allé à Awra Amba en 2008 pour réaliser un documentaire de 30 minutes. Nous avons ensuite constaté qu’à chaque fois que le documentaire était projeté, il entraînait d’interminables discussions parmi les spectateurs. Il était extrêmement enrichissant de voir qu’une projection d’une demi-heure était suivie d’une discussion qui pouvait durer une heure ou deux. C’est ce qui nous a incités à bâtir un projet plus important en donnant aux spectateurs un rôle de participant actif plutôt que de spectateur passif.
Nous sommes retournés à Awra Amba en 2010 pour leur montrer le film, qu’ils ont beaucoup aimé. Ils nous ont alors dit qu’ils étaient conscients qu’Internet est un outil puissant qui peut leur permettre de communiquer avec le reste du monde. Nous avons donc commencé à discuter de la collaboration qu’il était possible de mettre en place pour aboutir à une représentation du village conforme à leurs souhaits tout en leur permettant de tisser des liens avec le monde extérieur. Nous sommes maintenant en production avec l’Awra Amba Experience depuis 2011.
Comment le documentaire interactif fonctionne-t-il ?
Il est basé sur une visite virtuelle du village d’Awra Amba. Nous utilisons une photo panoramique à 360° qui est découpée en plusieurs environnements interactifs que les utilisateurs peuvent explorer sur une tablette ou un ordinateur. À l’intérieur de ces différents éléments, on trouve de courts films documentaires, des articles multimédias, des diaporamas et des infographismes. Tous ces différents supports recréent l’environnement de la communauté. Ils présentent le mode de vie des habitants, expliquent leurs philosophies et leur permettent de s’exprimer. Les utilisateurs peuvent organiser leur propre visite du village.
Nous ne voulions pas faire un film linéaire parce que l’histoire du village n’aurait pas pu être racontée sous forme linéaire. Cette communauté présente un si grand nombre de facettes qu’il était plus logique de présenter les choses de cette manière.
Il existe plusieurs scénarios et différents personnages, donc, au lieu d’avoir un, deux ou trois récits, vous vous retrouvez face à une dizaine de personnes, des plus jeunes aux plus vieilles, qui racontent l’histoire du village, ce qui permet d’avoir une vision plus démocratique.
Avez-vous pu tester les fonctions sur des utilisateurs ?
L’année dernière, nous avons eu l’occasion de montrer le documentaire à plusieurs enseignants qui ont été séduits par le concept. Cela nous a incités à élargir la présentation à d’autres enseignants, à des universités et à des sociétés éducatives. Aujourd’hui, le monde de l’éducation se montre soudain très intéressé par le documentaire et de nombreuses personnes le considèrent comme une ressource d’apprentissage exceptionnelle qui devrait être utilisée dans les écoles du monde entier. D’une part, il s’agit d’un concept très captivant pour les élèves car ils peuvent l’utiliser eux-mêmes sur leur ordinateur portable ou sur leur tablette en participant à l’histoire et en glanant différents enseignements par-ci par-là. D’autre part, il est possible de baser de nombreux apprentissages sur la dizaine de thèmes que compte cette histoire.
Quel public ciblez-vous ?
Au départ, nous avons rencontré des enseignants du Royaume-Uni. Et maintenant, le gouvernement met la pression sur les écoles pour qu’elles dispensent un enseignement plus international en classe, afin d’inculquer aux élèves des notions de tolérance et de mondialisation avec tout ce que cela implique dans leur vie quotidienne. Le Royaume-Uni a donc investi 20 millions de livres à ce niveau (avec le Global Learning Programme) et nous collaborons maintenant avec eux.
C’était l’objectif initial, mais le projet pourrait également être élargi à d’autres pays, notamment la Finlande et la Norvège. Dans l’idéal, ce documentaire pourrait être présenté dans les écoles africaines, mais cela demande beaucoup de réflexion sur le choix des partenaires avec lesquels nous travaillerions, car le niveau de technologie ou de connaissance numérique n’est pas le même partout. Pour nous, cela serait l’étape suivante, car notre objectif premier est bien de publier le documentaire en Afrique et surtout en Éthiopie puisqu’il s’agit d’une histoire éthiopienne.
Principales difficultés et principales réussites ?
Le lancement du projet n’a pas été de tout repos. Il est le fruit d’innombrables conversations entre nous-mêmes, les producteurs du film et la communauté, et d’une réelle volonté de produire quelque chose ensemble. Lorsque nous l’avons présenté à différents diffuseurs, la réaction a été la même partout : ‘Quels sont les problèmes de ce village ? Qu’est-ce qui ne va pas ?’ au lieu de le considérer comme quelque chose de positif venant d’un pays où les bonnes nouvelles sont rares. Les gens voulaient aussi absolument avoir notre point de vue, alors que nous ne voulions pas que le documentaire parle uniquement de notre point de vue, mais qu’il combine le point de vue des villageois et le nôtre. Nous voulions vraiment faire un travail collaboratif.
Mais tout a changé depuis 2010-2011. Maintenant, tout le monde se passionne pour l’interactivité. Ils ont réalisé que les jeunes ne s’intéressent plus à la télévision et ne la regardent plus. Mais il a fallu quatre ans d’évolution entre l’époque où tout le monde prétendait qu’il n’y avait aucun avenir pour ce genre de choses et aujourd’hui où tout le monde veut faire ce genre de documentaire.
Paulina Tervo viendra parler de l’Awra Amba Experience et du potentiel éducatif des histoires interactives à l’occasion de la conférence eLearning Africa, qui aura lieu du 20 au 22 mai 2015 à Addis-Abeba, Éthiopie.