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l’Afrique a besoin de femmes entrepreneurs

R Rabana Small (3)

Fondatrice de Yeigo, une des premières applications VoIP au monde, Rapelang Rabana a intégré le classement des meilleurs jeunes entrepreneurs africains établi par le magazine Forbes et a figuré dans la liste « O Power List » du magazine The Oprah Magazine. Dans son dernier projet en date, elle s’attaque à deux des plus grands défis de l’eLearning: en mesurer les impacts et améliorer la rétention des connaissances. Dans l’interview qui suit, elle évoque les écueils de la formation pratique, les raisons pour lesquelles les exercices d’eLearning  doivent être développés exclusivement sous forme d’applications mobiles et ce qui pourrait permettre d’accroître le nombre de femmes entrepreneurs en Afrique.

by Steven Blum

Quel effet cela vous a-t-il fait d’être transformée en icône de l’entreprenariat féminin en Afrique ?

Cela reste une surprise pour moi ; je crois que je n’ai pas encore vraiment réalisé. Il est certain que quand je me réveille le matin, je ne me sens pas différente et que je ne me souviens même pas de ce qui m’est arrivé. Je me considère toujours comme une femme qui a quelques idées qu’elle essaie de concrétiser, sachant que l’aventure de l’entreprenariat reste toujours aussi complexe et exigeante. Ce qui me réjouit, c’est que mon expérience semble avoir inspiré d’autres personnes et que si l’une d’entre elles, particulièrement une femme, a décidé de devenir entrepreneur après avoir entendu parler de moi, cela me donne une excellente raison de continuer.

D’après la Banque mondiale, le taux d’entreprenariat féminin en Afrique est le plus élevé du monde. À votre avis, pourquoi en est-il ainsi ?

Pour répondre à cette question, il est essentiel de faire la distinction entre les différents types d’entrepreneurs. En gros, il en existe deux sortes : ceux qui le deviennent par choix et ceux qui le deviennent pour des raisons de survie. La grande majorité des femmes entrepreneurs d’Afrique ont opté pour cette solution pour des raisons de survie, parce que toutes les autres solutions économiques et éducatives qui leur auraient permis de trouver des activités génératrices de revenus leur étaient refusées et que l’entreprenariat était la seule solution qui leur restait. Les femmes qui deviennent entrepreneurs par choix sont beaucoup moins nombreuses, or ce sont d’elles dont nous avons désespérément besoin car ce sont elles qui deviendront les futures femmes chefs d’entreprise. Nous avons besoin de femmes éduquées qui ont choisi l’entreprenariat plutôt qu’un emploi salarié, car elles estiment qu’il est possible de résoudre des problèmes majeurs de manière durable. Il faut que le système de valeur et les idées des 50 % restants de la population se reflètent dans les types d’entreprises qui sont créées et dans la manière dont elles sont gérées.

Dans une interview accordée à Ventures Africa, vous avez indiqué avoir été attirée par l’entreprenariat parce que vous ne vouliez pas passer votre vie à jouer le jeu de la politique d’entreprise dans un grand groupe et que vous souhaitiez garder le contrôle de votre destinée. Pensez-vous que les femmes qui travaillent dans des entreprises en Afrique du Sud rencontrent davantage d’obstacles que les femmes entrepreneurs ?

Il est assez difficile pour moi d’avoir une vision claire de la chose sachant que je n’ai jamais travaillé en entreprise et que je ne peux pas parler pour elles. Ce qui est clair, néanmoins, c’est que le « monde de l’entreprise » tel que nous le connaissons aujourd’hui a été créé par les hommes. Il est, par conséquent, largement bâti autour de principes, de caractéristiques et de comportements masculins, avec une vision plutôt patriarcale des objectifs à atteindre et de ce qui constitue la réussite. Même si ces principes s’appliquent aussi aux entrepreneurs, car nous travaillons dans la même économie, j’ai évidemment l’impression de bénéficier d’une plus grande indépendance et d’avoir la possibilité de suivre mon instinct et de construire mes propres références.

Quels conseils donneriez-vous aux autres femmes qui cherchent à trouver leur place dans le secteur de l’eLearning ? 

Pour commencer, mettez davantage l’accent sur le téléphone mobile que sur les ordinateurs. Ensuite, sachez qu’il est important de bien disséquer les différents aspects de l’apprentissage et des processus associés, puis de se concentrer sur l’amélioration d’un seul de ces processus. Trop souvent, nous considérons l’eLearning comme un seul et même tout, sans faire l’effort d’étudier l’apprentissage ou le processus d’enseignement spécifique que nous essayons de consolider. Un seul outil ne parviendra jamais à tout résoudre, l’apprentissage est un processus trop complexe. Il est donc important d’identifier soigneusement le problème que l’on veut traiter et ne pas se précipiter sur le dernier outil à la mode qui est peut-être destiné à un tout autre aspect de l’enseignement.

Qu’est-ce qui vous a incité à changer de branche pour passer de la communication à l’eLearning?

Dans mon esprit, je fais toujours la même chose : utiliser les appareils mobiles et Internet pour offrir des services capables de transformer et de résoudre les grands problèmes socio-économiques de notre temps. Il se trouve que ma première entreprise se trouvait dans le secteur des télécommunications, mais elle a toujours été motivée par le désir de proposer des produits novateurs et de créer un nouveau secteur économique dans un pays émergent en faisant appel à la technologie. Je pense que les téléphones portables et Internet deviendront vite les moyens les plus efficaces et les plus flexibles d’offrir, de faciliter ou d’améliorer l’accès à de nouveaux services, à de nouveaux produits, à de nouvelles activités et à des services sociaux de base dans de nombreux secteurs, qu’il s’agisse de services financiers, de services commerciaux, d’éducation, de santé, de vente au détail, d’agriculture ou du gouvernement. Il reste tant de secteurs et d’industries à explorer. Ayant toujours été intéressée par l’apprentissage et l’éducation, j’ai décidé de mettre ce secteur au cœur de mon prochain projet.

Un des plus gros enjeux auxquels l’eLearning est confronté aujourd’hui est la mesure des impacts. Comment votre entreprise, Rekindle Learning, assure-t-elle le suivi de l’engagement des étudiants ?

Nos applications sont axées sur le renforcement et la consolidation des connaissances après une leçon à l’école ou un séminaire en entreprise. La théorie de l’enseignement nous apprend que, pour améliorer la rétention des connaissances, il faut favoriser la récupération active, c’est-à-dire poser des questions de manière à inciter l’apprenant à se remémorer les informations de manière indépendante. En agissant ainsi un certain nombre de fois sur une période donnée, il est possible d’inscrire les connaissances dans la mémoire à long terme. Nous ne nous contentons pas de fournir un questionnaire ou un test ; nous ramenons l’apprenant à ses points faibles jusqu’à ce qu’il démontre un niveau suffisant de maîtrise et de rétention des informations. Une leçon est terminée lorsque ce niveau de maîtrise et de rétention est suffisant et non lorsque l’apprenant « arrive au bout », ce qui est, de toute manière, ce à quoi nous souhaitons aboutir. Avec cette méthode, les questions sont utilisées comme outil d’apprentissage et non comme outil d’évaluation.

Pouvez-vous nommer un des principaux éléments que vous ont enseignés les données que vous avez collectées ?

D’après les conversations que nous avons eues avec les apprenants de certaines de nos opérations pilote, nous avons pu constater qu’un apprentissage personnalisé qui repose sur des questions, qui n’est pas limité dans le temps et qui se déroule par téléphone portable interposé, semble beaucoup moins effrayant qu’un test traditionnel. Il ne s’agit plus de pointer les gens du doigt ou de les pousser à l’échec, mais de leur offrir la possibilité de réaliser par eux-mêmes ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas et d’ajuster leur mode de pensée en conséquence. Cela équivaut à avoir son propre enseignant personnel, mais un enseignant qui ne s’énervera jamais et qui ne portera jamais de jugement.

Pourquoi avez-vous développé votre logiciel d’e-formation pour les Smartphones au lieu de mettre vos outils en ligne ?

Je crois qu’il est indispensable de faire la distinction entre l’apprentissage sur ordinateur et l’apprentissage sur téléphone portable, car il s’agit de deux processus fondamentalement différents qui évolueront de manière très différente. Ce qui fonctionne sur des ordinateurs ne sera peut-être pas aussi attractif sur des téléphones portables. Même si l’application est « accessible » depuis un téléphone portable, l’interface sera obligatoirement différente. Les téléphones portables sont plus largement présents et continueront à l’être puisque l’infrastructure physique requise pour stocker et entretenir un téléphone portable est beaucoup moins onéreuse.

Nous devons centrer nos actions d’apprentissage sur les téléphones portables et non sur les ordinateurs/Internet, contrairement à ce qui se fait actuellement aux États-Unis et en Europe. Le développement de solutions mobiles modifie la manière dont le contenu est présenté en raison de la taille réduite de l’écran, de l’usage de la bande passante et de l’existence d’activités hors ligne qui tiennent compte d’une éventuelle connexion intermittente. Une des raisons pour lesquelles les programmes étrangers axés sur les technologies de l’éducation ne parviendront jamais à s’implanter durablement en Afrique est qu’ils ne sont pas conçus spécifiquement pour les appareils mobiles.

De nombreux secteurs économiques africains comme le tourisme affichent un potentiel de croissance étonnant. De quelle manière l’eLearning peut-it proposer des formations à grande échelle aux populations des marchés émergents ?

Je pense que les téléphones portables ont la capacité de fournir des formations à grande échelle dans les marchés émergents. Nous parvenons toujours à attirer du monde pour les ateliers de formation et autres événements similaires, mais le suivi a toujours été et reste le maillon faible de la formation, particulièrement dans les pays émergents. C’est à ce niveau que les téléphones portables pourront, à mon avis, jouer un rôle essentiel. Même s’il est difficile d’effectuer l’intégralité du processus d’apprentissage sur un appareil mobile, j’estime que ces appareils sont parfaitement adaptés aux actions de suivi, de renforcement et de consolidation nécessaires pour permettre de mesurer les progrès de chaque individu. Plus important encore, ils permettent à chacun de prendre en charge son propre apprentissage. Étant donné le nombre de personnes à former, la responsabilité de l’apprentissage va devoir être transférée de l’éducateur à l’apprenant car nous ne disposons tout simplement pas d’un nombre suffisant d’éducateurs pour tout gérer. Par exemple, j’imagine un monde dans lequel de jeunes diplômés de l’école secondaire pourraient suivre un apprentissage sur leur téléphone portable afin de se qualifier pour des emplois de base dans la vente au détail ou dans des centres d’appels et pourraient également fournir à leurs employeurs potentiels des preuves objectives des connaissances ainsi acquises.

Rapelang Rabana sera présente à la conférence eLearning Africa 2014 de Kampala, Ouganda, où elle évoquera son parcours. Si vous souhaitez en savoir plus sur les enjeux et les opportunités auxquels sont confrontés les entrepreneurs africains et sur les solutions que l’Afrique met en œuvre pour transformer le monde de l’éducation, venez assister à son intervention. Pour en savoir plus sur les orateurs qui animeront l’édition 2014, consultez notre site. Une version provisoire du programme de la conférence vous y attend !

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