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Le choix de l’Afrique : numériser son savoir traditionnel ou perdre sa culture et son développement

Dans l’extrait du rapport de eLearning Africa 2012 Gaston Donnat Bappa fait valoir que les traditions et les cultures africaines, fondements du développement du continent, ont été mises à mal par cinq siècles d’esclavage et de colonisation, et qu’en conséquence, leur survie à l’heure actuelle est menacée par des modes de vie qui s’en éloignent. Ce chef d’une communauté rurale déclare que le savoir ancien, ancestral de l’Afrique, est toujours vivant et que l’utilisation des TIC est essentielle pour les protéger et transmettre le savoir lié à l’identité aux générations actuelles et futures.


Les ingérences extérieures ont aliéné l’Afrique tout au long de sa longue histoire 

 

La vie et le développement des populations africaines ont été profondément perturbés par l’esclavage entre le XVIème et le XVIIIème siècle, par la colonisation qui a suivi au XIXème et au XXème siècles et par la néo-colonisation qui se poursuit de nos jours. Aujourd’hui, ces évènements sont plus profondément ancrés dans la vie des Africains que leurs propres traditions et la structure ancestrale de leurs sociétés. Pourtant, les Africains ont accumulé un savoir important depuis que l’Homme est apparu sur la planète Terre enAfrique il y a plusieurs millions d’années.
L’aliénation des peuples africains est renforcée quotidiennement par l’invasion de techniques nouvelles et d’informations en provenance d’autres cultures, notamment celles de l’occident, qui pénètrent à l’aide des médias globalisés. L’aliénation est par ailleurs exacerbée par l’absence presque totale de programmes d’éducation stratégiques au service de l’identité nationale qui
devraient être ancrés dans la culture et le savoir traditionnels anciens des peuples. À défaut d’identité, les nations et leurs citoyens sont dans l’incapacité de discernerce qu’ils doivent accepter du savoir qu’ils reçoivent d’autres cultures.

 

La culture et le savoir anciens, traditionnels de l’Afrique sont toujours vivants.


Aujourd’hui plus que jamais, l’Afrique estconnue pour ses traditions qui ont ésisté à l’épreuve du temps. Elle est enrichie par des coutumes ancestrales et une multitude de langues dont chacune recèle des connaissances anciennes particulières et constitue une source précieuse de richesses pour toute l’humanité. Elle est enrichie par ses peuples indigènes, sa culture orale, perpétrée par les « griots » (conteurs), ses proverbes, ses mythes et ses légendes, ses totems, ses sorciers et ses patriarches et par ses relations avec les morts à travers les rites et les cérémonies funéraires. Elle est enrichie par son animisme quiconstitue la source de sa spiritualité spécifique, sa pharmacopée dont l’efficacité avérée a été sauvegardée par les guérisseurs ; par ses arts et ses métiers inaltérables, inépuisables, son folklore, ses chants, ses danses, son communautarisme et la « joie de vivre » communicative qui caractérise ses peuples.L’Afrique possède tant d’atouts et de trésors à la disposition de l’humanité qui en a encore besoin aujourd’hui. Il est impératif de les protéger.Les traditions africaines sont riches de dispositions et de lois pour toutes les étapes de la vie : la naissance, l’adolescence, l’âge adulte, la vieillesse, la mort et audelà, sans oublier les lois sur les femmes, les hommes, le mariage,
le travail et bien d’autres encore. Depuis des temps anciens, elles ont permis à tous les membres d’une communauté de vivre leur époque de manière acceptable et de préserver les espèces.

 

Conseil sur le développement de l’Afrique par la culture, la tradition, les TIC, la science et la technologie 

 

L’Afrique doit trouver d’urgence des solutions pour s’imposer dans notre monde globalisé en tant que partie intégrante de la société et de l’économie de l’information. L’Afrique dispose des moyens nécessaires pour diriger son propre développement. Pour y parvenir, le savoir traditionnel,culturel et historique doit être la priorité fondamentale du système éducatif afin que les citoyens possèdent les repères identitaires nécessaires à l’organisation et à la construction de leur vie au XXIème siècle. En même temps, il faut poursuivre et renforcer le développement intellectuel dans tous les domaines, notamment en sciences et dans les technologies. La véritable histoire de l’Afrique, qui a été dénaturée parceux qui l’ont exploitée, doit être restaurée.

 

Le cas des femmes africaines illustre parfaitementcet état de fait. De nombreuses personnes pensent que les cultures africaines ne sont pas favorables aux femmes. C’est faux.La tradition africaine se nourrit de ce que représentent les femmes pour la vie commune. La tradition de l’Afrique noire est incarnée par une femme, la déesse égyptienne Maat qui personnifie l’ordre, la vérité, la justice, l’égalité, l’équilibre et la droiture. Les femmes jouent également un rôle crucial en tant que gardiennes de la culture et de l’héritage
africains. Dans les familles africaines,c’est la femme qui agit en tant que conservatrice de la richesse, outre le fait que, dans la plupart des civilisations africaines traditionnelles, les relations familiales sont matriarcales.

 

Cependant, les conditions de l’histoire de l’Afrique ont mis les femmes dans une position extrême.L’esclavage et la colonisation ont eu pourconséquence que de nombreux hommes étaient soit déportés, soit tués suite au travail forcé. Les femmes ont donc été soumises à une demande élevée de procréation dans le but de donner naissance à un plus grand nombre d’hommes. Elles étaient sollicitées pour de nombreuses autres tâches, telles que l’agriculture, étant donné que les hommes n’étaient plus disponibles.

 

Nous devons aujourd’hui comprendre et être conscients de cela, afin de redonner aux femmes africaines la place centrale qu’elles occupaient dans la vie de la communauté et de leur rendre leur indépendance. La renaissance de l’Afrique, qui implique la restauration de sa conscience historique, est une tâche essentielle comme le faisait valoir avecconviction Cheik Anta Diop, l’anthropologue sénégalais légendaire. Pour y parvenir, l’Afrique a besoin d’éducation à grande échelle couvrant tous les niveaux. Seules les TIC peuvent faire advenircette évolution pour que les Africains trouvent leur voie, où qu’ils vivent dans le monde.

 

Les formes traditionnelles de communication, en premier lieu la transmission orale, les tams-tams, les messagers humains ou les signaux de fumée disparaissent. Ces méthodes d’acquisition, de transmission et de sauvegarde du savoir ont permis à notre culture et à nos traditions de perdurer pendant des milliers d’années. Elles sont étroitement liées aux nouvelles TIC en termes de modes d’utilisation. Il est impératif de les protéger, et d’utiliser à grande échelle les moyens de communication modernes tels que l’écriture, la radio, le téléphone, la télévision, les ordinateurs, et en dernier ressort, Internet.

 

Pour garantir une utilisation efficace de la technologie pour promouvoir et protéger la culture et les traditions, et pour assurer leur avenir à long terme, il est vital de créer des contenus locaux numériques à grande échelle. Les Africains eux-mêmes y auront accès, étant les principaux intéressés, et le reste du monde également. Sans ces contenus locaux, les outils TIC ne seront rien de plus que des cages de résonnance de cultures étrangères cherchant à perpétuer l’aliénation de la jeunesse africaine en l’éloignant progressivement de son identité et de sa créativité.

 

Les implications du progrès technique du XXIème siècle pour la perpétuation des cultures africaines traditionnelles

 

Les centres de formation, de développement et d’expression des traditions et de la culture doivent être créés dans des lieux où ces traditions etcette culture existent et sont renforcés par les outils TIC appropriés. Dans cette optique, j’aimerais conclure en faisant deux recommandations.

 

Premièrement, la création et le développement de centres de réception de radiodiffusion et de télévision sont essentiels dans les communautés rurales. Un mélange de technologies mobiles peut faire émerger une nouvelle ère d’engagement des communautés rurales dans un certain nombre de formats divers. Les villages sont les lieux principaux où le savoir ancestral est encore vivant. Les populations rurales fournissent elles-mêmes les contenus et les
transmettent dans les langues locales. Ceci peut susciter un grand intérêt au sein des communautés, tout simplement parce que la voix de l’un d’entre eux peut être entendue à la radio, provoquer des discussions sur des problèmes importants abordés dans une émission. Les contenus peuvent également être sauvegardés et retraités numériquement afin de pouvoir être retransmis sur Internet pour les ressortissants vivant au loin et dans le reste du monde.

 

Deuxièmement, les coûts de production baissent, en conséquence, la création, la diffusion et la sauvegarde des contenus multimédias locaux sont bien plus aisés. Comme l’a si bien exprimé l’écrivain Amadou Hampate Bâ, « en Afrique, lorsqu’une personne âgée décède,c’est une bibliothèque qui brûle. » Pour garantir que ces bibliothèques vivantes que sont les vieux patriarches ne brûlent pas, les États africains devraient encourager la création de véritables bibliothèques rurales dans les lieux où les traditions sont préservées, tels que les chefferies, les lieux de rencontre, les patriarcats, les centres culturels et les musées. Les ordinateurs joueront un rôle déterminant dans la collecte et la sauvegarde des contenus locaux. De même, les connexions sans fil permettrontelles aux bibliothèques rurales d’être reliées aux centres régionaux et nationaux, ouvertes à tous via l’accès Internet, de mettre en forme et de conserver des contenus divers et de faciliter l’éducation, la recherche et l’innovation.
En renouant fermement avec ses traditions et sa culture à l’aide des TIC, et en comprenant la science et la technologie, l’Afrique pourra enfin émerger de manière plus concrète dans le monde moderne.

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