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« L’atout principal de l’Afrique, c’est la jeunesse »

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Bitange Ndemo est maître de conférences à l’école de Commerce de Nairobi, de même qu’ancien secrétaire permanent au Ministère kenyan de l’Information et de la Communication. C’est dans le cadre de cette fonction qu’il a directement contribué aux nombreuses avancées technologiques et sociales ayant permis à son pays de devenir l’un des centres africains les plus influents dans le monde de l’innovation des TIC. Commentateur prolifique du Kenya moderne, il fait régulièrement part de ses points de vue saillants et incisifs, notamment sur son blog. Invité à la Conférence eLearning Africa 2014, il s’y exprimera en qualité de conférencier d’honneur. Le département presse est parti à sa rencontre en vue notamment d’obtenir, parmi d’autres sujets abordés, son point de vue quant à l’avenir de la jeunesse africaine.

Quels sont selon vous les atouts majeurs de l’Afrique et comment en tirer les plus sérieux bénéfices ?

L’atout principal de l’Afrique, c’est la jeunesse. De très nombreux pays investissent une grande partie de leur budget dans l’éducation. Dans un monde où la majorité de la population a tendance à vieillir, la jeunesse africaine représente plus de 70 % des habitants du continent. C’est une grande chance que nous avons ; il faut toutefois apprendre à exploiter ce potentiel, tout comme la Chine l’a fait par le passé. Il s’agit là d’une excellente raison de former la jeunesse et de la préparer à un futur dans lequel il lui faudra elle-même produire, et ce au niveau mondial.

Le thème de l’édition 2014 d’eLearning Africa sera « Frontières Ouvertes sur l’Avenir ». Comment comptez-vous aborder ce sujet dans votre allocution ?

L’usage des TIC a rétréci le monde, jusqu’à en faire un petit village dans lequel les progrès enregistrés par les pays les plus développés répondent, par le biais d’innovations, aux défis rencontrés dans les pays en voie de développement. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une telle chose se produit. Il nous faut saisir cette chance et positivement changer le sens de l’Histoire. Des entreprises telles qu’IBM ont centré certaines de leurs recherches en Afrique, où de nombreux problèmes subsistent, et y ont apporté des solutions qui révolutionneront l’avenir. Le superordinateur d’IBM, nommé Watson, est notamment susceptible d’aider à régler les problèmes liés à l’insécurité alimentaire, aux maladies, et à bien d’autres défis connexes. Mais il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers et, au contraire, profiter de l’occasion pour franchir le pas et accéder à l’étape suivante.

Le Kenya est certes à la pointe de l’innovation des TIC en Afrique, mais 43,4 % de la population demeurent en dessous du seuil de pauvreté. Comment les TIC peuvent-elles être utilisées en vue de profiter au mieux aux plus démunis ?

Les TIC sont en train de modifier le paysage traditionnel dans la plupart des pays africains, y compris au Kenya. Les innovations rurales créent des emplois, améliorant la productivité et permettant une plus grande inclusion financière.

Au Kenya, les paiements mobiles ont non seulement créé des emplois dans les zones rurales, mais ils ont également permis à beaucoup d’épargner et d’accéder à un crédit, via les services bancaires mobiles. D’autres services, tel iCow, aident les producteurs de lait à accéder à des informations leur permettant une plus grande productivité. De plus en plus de sommes d’argent originellement vouées à rester sous les matelas sont à présent en libre circulation dans des régions éloignées du pays, permettant à de petites entreprises de croître et de créer davantage d’emplois.

Dans un futur proche, par le biais de l’analyse de données, les agriculteurs seront en mesure de prévoir approximativement les précipitations et d’optimiser ainsi les fruits de leur agriculture.

Que pensez-vous du plan kenyan national sur les TIC ? Quel bénéfice particulier pourra-t-on en retirer ? Les buts affichés ne sont-ils pas trop ambitieux ?

Il est important que la population saisisse le sens de la politique du gouvernement ; les gens peuvent ainsi avoir connaissance de leurs droits et chercher le point de vue de la société, afin de participer plus efficacement et de devenir partie prenante du projet. Le plan prévoit par exemple que chaque citoyen pourra avoir accès au haut-débit.

Les citoyens savent déjà quoi entreprendre avec le haut débit, comme nous avons pu le voir avec les transactions financières mobiles, la quête d’informations sur les prix agricoles ou plus simplement sur les conseils sanitaires. L’automatisation de l’ensemble de nos dossiers et registres permettra de considérablement réduire la corruption, d’améliorer les prestations, de permettre au gouvernement de recueillir plus d’argent et, potentiellement, de réduire les impôts. Notre plan national n’est donc pas ambitieux, il s’agit d’une feuille de route destinée à voir si les TIC contribuent plus au PIB que l’agriculture.

Vous avez déjà mentionné qu’un des besoins principaux du Kenya était l’apprentissage, par les étudiants, des compétences nécessaires. Comment combiner selon vous l’apprentissage en ligne et l’apprentissage pratique, afin de combler les lacunes ?

Nous avons passé de nombreuses années à nous concentrer sur la seule théorie, en espérant que les compétences en découleraient automatiquement. Mais ceci est une fausse croyance. Les pays qui ont réussi ont un solide programme de développement de compétences. L’Allemagne, par exemple. Si l’Allemagne est parvenue à résister aux effets de la crise financière récente, c’est que bon nombre de ses citoyens possèdent les compétences adéquates, de celles qui sont en mesure de soutenir l’état, et ce même dans les moments les plus difficiles.

Au Kenya, alors qu’il existe de nombreux emplois, le chômage est très présent car les jeunes ne sont pas suffisamment formés. Ce problème peut être résolu par la mise en ligne des contenus, pour tous les corps de métiers, y compris concernant les compétences non-techniques

Il est de notoriété publique que de nombreux jeunes évitent les formations professionnelles au profit d’emplois « en cols blancs » ; qui n’existent toutefois pas ! Il est nécessaire d’encourager ces jeunes à acquérir des compétences « en cols bleus » qui, pour leur part, offrent de nombreuses possibilités de formation.

Pensez-vous que l’anglais, en qualité de langue véhiculaire internationale, se doit de rester la langue principale ou pensez-vous qu’il est enfin temps de mettre en avant les langues locales ?

Nous n’avons pas d’autre choix que de maîtriser au moins une langue. Cette langue doit être l’anglais, étant donné que la plupart des langues locales Africaines n’ont pas évolué dans notre monde, très dynamique, où, chaque jour, de nombreux nouveaux mots voient le jour. Tout en reconnaissant l’importance de nos idiomes, nous devons assurer la parfaite maîtrise d’une langue dynamique telle que l’anglais afin de rester actifs dans un monde très concurrentiel.

 

Comment encourager la création de contenus locaux en Afrique ?

La demande est là. Le principal problème est que peu de pays sont prêts à financer leur développement. L’économie créatrice est une très grosse entreprise. A titre d’exemple elle représente plus de 60% du budget en Californie. Ceci devrait être en soi une motivation suffisante. Mais, apparemment, seuls les Nigérians sont parvenus à rentabiliser les contenus locaux.

Des postes d’ambassadeurs en économie créatrice devraient être pourvus afin d’encourager les jeunes à s’y intéresser. Des personnalités telles que Lupita Nyon’go, qui a récemment reçu un Oscar, devraient motiver bien d’autres personnes. Il n’y a pratiquement aucune entreprise ludo-éducative en Afrique alors que nous savons parfaitement que les enfants apprennent bien mieux sur la base de supports visuels. Facebook SocialEDU aura besoin de beaucoup de contenus. Nous devons encourager beaucoup plus de jeunes à envisager de se lancer dans ce secteur lucratif émergent.

Quels furent les défis auxquels vous avez été confrontés en qualité de secrétaire permanent au Ministère kenyan de l’Information et de la Communication, et comment les avez-vous relevés ?

Travailler pour un gouvernement est en soi un défi, pour la simple raison que les citoyens n’accordent en général que peu de confiance aux gouvernants. Une grande partie des acteurs gouvernementaux sont égoïstes, et peu sont réellement concernés par les sacrifices à réaliser en vue d’assurer le bien-être de la nation. En tant que haut-fonctionnaire dans un ministère, vous devez trouver le juste équilibre entre les intérêts divergents, en combinant une compréhension des intentions des parties égoïstes au soutien de ceux qui désirent un réel changement et une véritable amélioration économique du pays.

Surmonter ces problèmes demeure difficile, mais il est essentiel d’établir des relations de confiance et d’œuvrer à un réel progrès. Cette mission commence par les collègues immédiats, ceux qui travaillent avec vous au jour le jour.

Les défis sont présents dans tous les domaines : politique, économique et social. Quelle que soit leur origine, il faut rester fidèle à soi-même. J’ai, pour ma part, pu prendre plus de risques que certains autres du fait de ma position à l’Université, qui m’offrait une issue de secours.

 

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